Dossier Psy4Work

Développement et changement organisationnel comme champ d’expertise de la psychologie du travail

Cinquième chapitre du dossier sur l'utilité des psychologues du travail et des organisations pour les RH.

Les nouvelles tendances en matière de modes d’organisation du travail (agilité, holacratie, New Work, etc.) influencent notablement la nature des demandes adressées aux psychologues d’entreprise. Dans ce contexte, quel est le rôle des spécialistes en Développement Organisationnel (DO) ? Il leur incombe d’adapter leur accompagnement à la demande réelle, souvent non clairement exprimée a priori. Cette adaptation, ou évolution se fait parfois au cours de l’intervention initiale, selon le principe de la « porte ouverte ».

D’où vient le Développement Organisationnel (DO)?

Les origines du DO remontent aux années 50 et sont attribuées à des universitaires et des praticiens qui ont œuvré dans de grandes entreprises américaines. Ils sont principalement basés sur les travaux d’Elton Mayo (expérience de Hawthorne), professeur à l’Université de Harvard. Celui-ci a démontré que l’augmentation de la performance au travail dépendait prioritairement de l’attention et de la reconnaissance portées par la hiérarchie et l’entourage au personnel et non d’abord des conditions de travail (infrastructures, luminosité, etc.).

Depuis, différents courants ont influencé cette discipline qui s’est précisée dans les années 60. Ce sont principalement:

- Le courant des relations humaines, qui considère qu'un leadership efficace, de la considération pour le personnel et la participation de ce dernier aux décisions accroissent la productivité. 
- Le courant de la psychosociologie, dans lequel le groupe (dynamique de groupe, rôles, interactions) constitue le levier de changement le plus puissant dans une organisation. 
- Le courant sociotechnique, qui propose de nombreuses méthodes (enquête-feedback, sessions de confrontation, gestion des conflits intergroupes, etc.) pour soutenir le développement de l’organisation.

De plus, les pratiques en DO sont fortement influencées par:

- le contexte sociologique et économique de la période considérée (industrialisation, capitalisme, néolibéralisme)1
- la culture d’un pays et sa représentation du monde économique et du travail - soit la manière dont sont considérées les organisations dans cette culture
- le bagage théorique des auteurs et intervenants

1[pp.2-23, Tessier R. & Tellier Yvan (1992). Méthodes d’intervention Développement organisationnel, Tome 8, Presses Universitaires du Québec.]

Avec la globalisation toutefois, ces différences tendent à s’estomper.

Le levier de changement s’est petit à petit déplacé de l’individu (si une certaine masse critique d’individus s’est développée, l’ensemble d’une organisation se développe) au groupe (un groupe impacte l'ensemble de son organisation en modifiant son fonctionnement) et à l’organisation (l’adaptation des programmes et des structures organisationnelles permet le développement de l’organisation, des groupes et des individus qui la composent). La finalité du DO reste la même: transformer la culture organisationnelle pour répondre au mieux aux défis rencontrés par cette dernière.

Le DO permet de répondre de dépasser les problématiques qui entravent le développement naturel de l’organisation et de mobiliser les cadres et le personnel afin qu’ils trouvent par eux-mêmes les solutions aux problèmes rencontrés.

Nous pouvons distinguer quatre conceptions dans l’approche des transformations organisationnelles:

1. Désorganisation: les changements ne s’inscrivent dans aucun concept et sont réalisés de manière non planifiée. Différents acteurs internes et externes apportent des solutions qui ont fait leurs preuves dans d’autres organisations, ce qui engendre un cumul de changements pas toujours convergents. Cette approche peut être bénéfique pour éviter l’immobilisme ; elle entraîne par contre des blocages et des tensions, contre-productifs pour la bonne marche de l’organisation.

2. Stratégie rationnelle (conseil d’expert): des experts internes et externes pratiquent une analyse de la situation et échafaudent des propositions d’amélioration. La démarche soutient l’idée qu’une approche rationnelle et détachée de la situation permet le changement. Les solutions prescrites offrent la possibilité d’adhérer à l’intention, sans pour autant s’engager effectivement à les mettre en œuvre. Si cette approche est utile lors de situation très tendue ou en cas de risque d’immobilisation de l’organisation (risque de faillite, etc.), elle ne permet que rarement de mobiliser les acteurs internes à effectuer le changement souhaité.

3. Stratégie de contrainte et de pouvoir: les objectifs de changement précis sont définis par la direction sur la base, éventuellement, de conseils d’experts. Il s’en suit des actions visant à convertir l’ensemble du personnel aux changements, en promettant des avantages à ceux qui s’engagent et en menaçant de sanction ceux qui les refusent. Les changements visés sont rapidement visibles, tout autant que l’augmentation des tensions, voire l’explosion de situations conflictuelles entre individus et instances (syndicat, co2mmission du personnel, etc.).

4. Stratégie de changement des mentalités (développement): le conseil en processus vise à recueillir, analyser et modifier en profondeur les modes de pensées, les motivations et les intérêts des personnes en vue d’une vision de développement concertée. Les étapes sont établies par et avec les acteurs internes. L’accompagnement consiste à apporter un soutien méthodologique, à mettre en évidence les incohérences et à contribuer à la mise en mouvement l’ensemble du système. Même si la capacité de développement est ancrée au sein même de l’organisation, cette approche exige une phase préparatoire plus longue et la mobilisation d’un nombre plus important de personnes.

Les trois dernières approches visent, chacune à leur manière, à ne pas attendre qu’un changement se produise au hasard, mais à planifier ce changement, dans la perspective d’une amélioration continue du développement de l’organisation.

Qu’est-ce que le Développement Organisationnel salutogène?

Même si les approches en DO sont multiples, certains fondements sont communs à l’ensemble des pratiques, comme la considération de l’organisation comme un système complexe ou le principe d’apprentissage et d’adaptation permanents.

Si le monde du travail est en constante mutation, il fait aujourd’hui face à des enjeux majeurs qui le dépassent largement. Les modes d’organisation du travail qui prévalent depuis les recherches du milieu du XXe siècle en psychologie, sociologie et gestion, montrent leurs limites. Exigences d’efficience et de performance toujours croissantes, modes de management et de leadership, accessibilité permanente, automatisation des tâches ou encore digitalisation génèrent des tensions, dans des contextes sociétaux, environnementaux, sanitaires et économiques eux aussi sous pression.

Une organisation – qu’elle soit entreprise publique ou privée – est un système vivant. Comme tout être vivant, elle se développe avec une intention. Elle évolue dans un contexte spécifique et croît dans un terreau et un climat plus ou moins favorable. Comme tout être vivant, elle passe par différentes étapes de développement et de maturité. En conséquence, l’organisation est en constante transformation. Une organisation saine se développe. Et une organisation qui se développe génère de la santé, à l’intérieur et autour d’elle.

Comme tout système vivant, l’organisation-entreprise cherche avant tout à rester en équilibre autour de son axe, autrement dit sa raison d’être, sa mission (homéostasie). Elle va s’ajuster et s’adapter aux exigences et aux changements des contextes externes dans lesquels elle évolue (règlementations, marché, ressources et matières premières, main-d’œuvre, etc.). Or il n’y a pas de transformation sans une forme de tension. Lorsque la tension est modérée, le système peut la résoudre par des changements focalisés sur sa source ; ils sont alors ponctuels et visent à rétablir une forme d’équilibre sans modification du système (assimilation ou changement de type 1).

 Schéma
Les champs de tensions comme source de développement – réseau syllogos

Il arrive que la tension interne ou les pressions externes déstabilisent profondément et durablement le système, avec des conséquences importantes sur les individus comme sur le système et la qualité ou la pérennité de la mission. Un développement vertical, appelé aussi changement de type 2 (accommodation), est alors nécessaire et entraîne la transformation du système. La tension émergeant dans l’organisation est donc source de développement.

Le DO salutogène consiste à accompagner l’évolution, voire la transformation du système « organisation » en facilitant le passage d’une phase de croissance à l’autre et en mobilisant les ressources présentes. Parce que chaque organisation est singulière et que ses contextes internes et externes sont dynamiques, l’approche DO salutogène implique la co-construction d’une démarche spécifique au système considéré avec les représentant-e-s du système. Les modèles théoriques et outils méthodologiques sont utilisés pour comprendre et élargir les possibilités d’action, non pour simplement décrire ou pour prescrire une solution «hors sol».

Accompagner le développement peut se faire par une ou plusieurs des portes d’entrée du système que sont les individus, les équipes ou l’organisation dans son ensemble. Quelle que soit la porte d’entrée, l’approche DO prend en compte les deux autres. Il s’agit en effet d’éviter le report d’une tension et de préserver l’équilibre ailleurs dans le système. Ceci est la base d’un développement durable et salutogène. Celui-ci génère alors des ressources à tous les niveaux, au-delà même de l’organisation, dans l’écosystème dans lequel elle évolue, et permet aux individus, aux équipes et à l’organisation d’évoluer en santé.

Schéma
Les trois portes d’entrée du DO salutogène – réseau syllogos

On l’aura compris, le DO salutogène va donc bien au-delà de la gestion du changement et intègre ce dernier dans les processus mis en œuvre dans l’accompagnement. Cela permet d’inscrire toute action de transformation dans un ensemble en considérant les relations, souvent complexes (et parfois inattendues) qu’elle entretient, avec les différents éléments du système, favorisant ainsi la restauration de l’équilibre dynamique à la base de la santé individuelle, collective et organisationnelle.

Quand faire appel à une intervention DO et quels sont ses principes?

Toute situation dans laquelle une tension, dans une partie ou dans l’ensemble du système, ne permet plus aux individus, aux équipes ou à l’organisation de maintenir leur équilibre et de remplir leur mission. Les signes et manifestations de tension peuvent être divers : épuisements ou burn-out multiples, stress chronique, ambiance d’équipe délétère, difficultés à atteindre les objectifs, ressources insuffisantes, baisse de qualité des biens ou services proposés, mais aussi réorientation stratégique, développement de nouveaux marchés ou domaines d’action, augmentation ou réduction des effectifs, changements structurels ou contextuels.

Que ce soit par la porte d’entrée de l’individu, de l’équipe ou de l’organisation, une intervention DO naît d’une demande explicite du mandant et s’inscrit dans une démarche holistique et sur mesure. L’analyse et la formulation de la demande permettent au mandant et au-à la consultant-e en DO de poser l’objectif et le cadre général de l’intervention, et de définir les premières mesures diagnostiques pour orienter l’action. Tout comme un arbre produira les fruits spécifiques à son espèce, une intervention DO salutogène respecte la nature de l’individu, du collectif ou de l’organisation qui la sollicite, ainsi que de la phase de développement dans laquelle il se trouve. Avec l’accent mis sur les ressources présentes, il s’agit là de quelques principes fondamentaux de cet accompagnement.

En effet, intervenir en DO ne relève ni de l’expertise ni du coaching. La posture de l’accompagnant-e en DO n’est ni dedans, ni devant, mais à la marge, afin de percevoir les résonances du système sans en être partie prenante. Ce rôle de marginal sécant, à l’interface entre deux mondes, est l’une des clés du succès et de la pérennité de l’intervention. Après avoir précisé le cap et situé le système considéré « ici et maintenant », l’accompagnement en DO le soutient dans son développement, au travers de processus multiples et complémentaires, agissant sur les éléments essentiels qui le caractérisent. Ces éléments varient donc, selon qu’il s’agit d’un individu, d’un collectif ou d’une organisation dans son ensemble.

Quelques exemples concrets

1) Intervention au sein du département RH (60 coll.) d’une organisation nationale privée (3000 coll.) active dans le secteur de la logistique.

• Demande initiale: la DRH en place souhaite renforcer la nouvelle équipe de direction, suite à un renouvellement important de ses membres. La demande d’intervention est de type «développement d’équipe», qui aurait un impact local sur l’équipe de direction, mais risque de renforcer la rupture de confiance avec l’ensemble du personnel.

• Intention de développement: rétablir la confiance envers la hiérarchie et intégrer la vision novatrice du rôle des RH au sein du département RH.  L’accompagnement de l’équipe de direction est couplé à une démarche DO. Celle-ci s’oriente sur le deuil de l’ancienne structure et des types d’interactions qui s’y déroulaient et sur l’accueil de la nouvelle structure, comme tremplin à la vision novatrice du Département RH œuvrant comme «liant» au service de l’ensemble de l’organisation.

• Résultats: cette démarche a permis de contrebalancer la stratégie « pouvoir-contrainte » utilisée par la DRH en place. Les différentes interventions co-élaborées avec les acteurs internes ont permis de débloquer les résistances internes vis-à-vis de la restructuration. La confiance a été rétablie et l’ensemble du personnel est resté en fonction. Une transformation de culture (modes de pensée et d’interaction) a pu s’engager sur la durée.

2) Intervention au sein d’une fondation paraétatique de 60 coll. dont l’effectif a augmenté de plus de 30% en 3 ans et qui traverse un défi majeur après des années de «stabilité».

• Demande initiale: le président du conseil de fondation, pour des raisons de positionnement personnel sur l’échiquier politique national, a souhaité un audit organisationnel. Cette demande invite à suivre une stratégie rationnelle et à offrir une intervention de type «experte». Si celui-ci avait permis de rassurer le président, il aurait pu décrédibiliser le directeur fraîchement arrivé pour redresser la fondation qui se trouvait au bord de la faillite.

• Intention de développement:  accompagner l’organisation dans le passage d’une phase de croissance à l’autre et adapter, si besoin, la gouvernance interne (processus décisionnel, direction, cadres).

• Résultats: l’accompagnement initialement prévu a été converti en un accompagnement en DO, selon une stratégie de développement qui a permis de transformer les modes de pensées et d’interaction.

3) Intervention au sein d’un hôpital dont la direction constate des relations hiérarchiques contre-productives et énergivores au niveau des soins.

• Demande initiale: la nouvelle directrice des soins a souhaité transformer la culture de l’organisation des soins (nouvelle vision) et la faire vivre à tous les échelons.

• Intention de développement:  préciser, avec l’ensemble des cadres, la vision d’avenir des soins, afin de motiver les changements de comportement.

• Résultats: après 4 ans de multiples mesures directes et indirectes co-conduites par les cadres et la consultante en DO, le secteur des soins a été reconnu par un organisme international comme étant un «Hôpital d’excellence» en termes d’organisation des soins.

L’apport des psychologues du travail et des organisations

Grâce aux connaissances acquises lors de leur formation, les psychologues du travail et des organisations abordent le fonctionnement de l’individu en activité, au sein d’une équipe et d’un contexte spécifique à l’organisation et non comme une entité indépendante. Prenant en compte à la fois le développement individuel, collectif et organisationnel, ils apportent une large palette de méthodes d’investigation et d’intervention participatives pour réduire les champs de tension de manière cohérente.

Dans l’exercice de sa pratique, ils développent à la fois une capacité d’implication (lien et empathie) et de distance, qui permet l’adoption d’une posture d’accompagnement ferme et adaptative nécessaire aux accompagnements «cliniques» et «sur mesure» exigés. Les psychologues du travail et des organisations intervenant en DO complètent leurs bases théoriques et leur pratique par des connaissances en gestion d’entreprise, économie d’entreprise et sociologie des organisations. En fonction de ses intérêts personnels, ils vont souvent se spécialiser dans l’une des trois portes d’entrée (développement de l’individu, développement d’équipe ou développement de l’organisation), puis collaborer avec d’autres professionnels pour garantir une large palette de méthodes et d’outils, afin de pouvoir œuvrer au sein de tout type et de toute taille d’organisation.

Références:
Tessier R. & Tellier Yvan (1992). Méthodes d’intervention Développement Organisationnel, Tome 8, Presses Universitaires du Québec.
Glasl, F, Kalcher T. Piber H. (2005). Professionelle Prozessberatung. Das Trigon-Modell des sieben OE-Basisprozesse, Berne, Stuttgart.

CAS en Développement Organisationnel Salutogène à la HEdS Valais-Wallis

www.syllogos.ch

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Sibylle Heunert Doulfakar

Sibylle Heunert Doulfakar, psychologue du travail et des organisations, spécialisée dans les compétences collectives et le développement organisationnel, accompagne et conseille depuis plus de 20 ans les organisations tant privées que publiques lors de phases de transition et situations délicates. Elle a fondé et initié divers réseaux et entreprises sur le principe de l’intelligence collective (réseau syllogos, Rencontres Horizon, LaDanseDesRôles.ch).

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Anny Wahlen

Le parcours de Anny Wahlen, psychologue du travail et des organisations, l’a menée de l’humanitaire au consulting, en passant par les ressources humaines de multinationales. Passionnée par les questions liées au stress et aux contextes qui le génèrent, elle intervient aujourd’hui auprès des équipes et des organisations aux prises avec les nouveaux défis du monde du travail.

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