Dossier Psy4Work

La gestion et la promotion de la santé comme champ d’expertise de la psychologie du travail

Troisième chapitre du dossier sur l'utilité des psychologues du travail et des organisations pour les RH.

Pourquoi se préoccuper de la santé au travail?

Bien que la pénibilité physique du travail ait diminué au cours du temps, notamment grâce à l’augmentation de la proportion des métiers de service et aux moyens auxiliaires et de protection, les risques pour la santé sur le lieu de travail restent une réalité.

Or protéger la santé physique, psychique et sociale des collaborateurs-trices en favorisant une bonne qualité de vie au travail engendre, en plus du respect des obligations légales, des bénéfices pour toutes les parties: 
• les individus eux-mêmes: ils conserveront leur capacité de travail et leur motivation sur le long terme;
• les équipes: elles verront leur climat de travail et leur collaboration s’améliorer;
• l’entreprise dans son ensemble: elle maintiendra la qualité de sa productivité ou services, sera capable d’attirer les compétences nécessaires, préservera sa réputation et enfin, réduira ses coûts.

Décider de mettre en œuvre une GSE intégrée, est un atout stratégique et une démarche proactive, allant bien au-delà de la gestion des situations d’absence.

Un héritage ancestral

Il semble que les anciens Égyptiens avaient déjà pris conscience de l’importance de ce thème, plus de deux millénaires avant notre ère. En effet, un médecin était chargé de veiller sur la santé des ouvriers et esclaves des chantiers pharaoniques de l’époque.

Plus près de nous, la fin du XIXe siècle a marqué un tournant dans la prise en compte de la santé des personnes actives en Suisse, sous l’influence des lois sociales du chancelier allemand Bismarck. L’étatisation de l’assurance accident et la loi qui en découla sont à l’origine de la création de la SUVA (anciennement CNA) en 1918, la plus ancienne assurance sociale de Suisse. Les préoccupations en matière de santé au travail se focalisent alors sur la santé physique, la sécurité et la pénibilité du travail.

La loi sur le travail (LTr) entrée en vigueur en 1966 puis ses ordonnances et leurs commentaires, élargissent la protection à la santé psychique. En 1986, la première conférence internationale sur la promotion de la santé à Ottawa débouche sur une charte jetant les bases de la gestion de la santé en entreprise (GSE). L’expression «risques psychosociaux» apparaît en 1998, mettant en lumière les facteurs de risques, comme les conséquences, en lien avec issus ou portant sur les sphères psychique et sociale de la santé.

Quels sont les risques pour la santé dans l’environnement de travail?

Outre les risques «classiques» (risques chimiques, biologiques, électriques, etc.) identifiés, reconnus et pris en compte dans les dispositions sur la santé et la sécurité au travail, de nombreux autres risques ont émergé avec l’évolution du monde du travail depuis une vingtaine d’années.

Ceux-ci sont générés par des facteurs affectant l’équilibre psychosocial ressenti. Ambiance d’équipe, sentiment d’équité, pression liée à la surcharge de travail, ou style de management sont autant d’exemples de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler les « facteurs psychosociaux ». Perçues négativement, leurs conséquences vont du stress au burn-out, en passant par les problèmes relationnels (conflits, harcèlements) ou les atteintes à la santé physique (problèmes cardiovasculaires, affections chroniques, etc.).

Contrairement aux risques classiques, ces facteurs sont a priori neutres et peuvent tout aussi bien constituer des ressources psychosociales essentielles, lorsqu’ils sont déployés et vécus positivement dans les équipes que des facteurs de risques. C’est là une des différences majeures d’avec les risques classiques et cette différence aura un impact sur la manière de gérer et de prévenir les situations liées à la santé psychosociale.

Par exemple, l’ambiance d’équipe ou les horaires de travail sont des facteurs neutres en soi. Si l’ambiance est bonne ou que les horaires conviennent, cela aura un effet bénéfique sur l’entreprise et les individus. Au contraire, si l’ambiance est délétère ou que les horaires ne conviennent pas, ils constituent alors des facteurs de risques avec des effets possibles sur la productivité, les tâches et la santé des individus.

Gestion, promotion, prévention, quelles différences? Quelles actions?

La Gestion de la Santé en Entreprise (GSE) englobe le respect des exigences légales en matière de santé et de sécurité – par exemple l’application de la directive MSST relative à l’appel des médecins du travail et autres spécialistes de la sécurité au travail – tout en allant bien au-delà.

Outre la gestion des cas visant à réduire le risque de récidive ou de chronicisation, la GSE cherche à prévenir et à promouvoir la santé en œuvrant autant sur les comportements individuels, collectifs et organisationnels que sur le contexte et les conditions de travail.

La promotion de la santé en entreprise (PSE) est également une partie de la GSE. Elle regroupe l’information et la sensibilisation sur des thématiques pertinentes pour l’entreprise ou certains groupes cibles, ainsi que des actions favorisant les comportements salutogène (c’est-à-dire générateur de santé) dans les domaines de l’alimentation, du mouvement, de la santé mentale ou encore de l’équilibre avec la vie privée.

La prévention vise à concevoir l’activité de travail et à agir sur les conditions dans lesquelles elle s’exerce de manière à générer de la santé. Ceci implique d’identifier les facteurs de risques présents et les ressources à disposition, afin de réduire les premiers et renforcer les secondes. Cela passe par des états des lieux réguliers, plus ou moins formels, selon la taille de l’organisation et ses domaines d’activités.

Les psychologues du travail et des organisations actifs dans ce domaine d’expertise sont amené.e.s, en tant qu’acteur.trice interne ou externe à l’entreprise, par exemple à:

• Accompagner des personnes dont la santé psychosociale est altérée et contribuer à la restauration de leur équilibre ou à leur retour au travail (en collaboration avec d’autres acteurs)
• Agir en tant que Personne de Confiance en Entreprise, dans le cadre de la gestion des conflits ou le suivi de situation de harcèlement psychologique ou sexuel
• Animer des sensibilisations, formations ou ateliers sur les thématiques de santé (psychosociale en particulier, comme le stress, le burn-out, le sommeil, le travail en horaires décalés, la gestion des conflits, etc.), ainsi que sur les compétences interpersonnelles ou en leadership et management
• Faire des états des lieux et des analyses d’équipe ou d’entreprise afin d’objectiver les facteurs psychosociaux présents
• Faciliter des approches participatives afin de permettre aux équipes de définir des mesures et actions pertinentes et pérennes
• Accompagner les directions ou les fonctions RH dans l’intégration de cette thématique au sein des outils de gouvernance, de gestion et des processus RH.

Comment passer de la promotion de la santé à la gestion de la santé en entreprise?

La santé au travail, c’est l’affaire de toutes et tous. Le personnel, les cadres, la direction ou les fonctions expertes - internes comme externes - ont un rôle à jouer. La GSE est véritablement intégrée et porte ses fruits lorsque:

• cette thématique est considérée au même titre que d’autres enjeux majeurs pour le succès de l’organisation
• les rôles sont définis, endossés formellement, coordonnés de manière interdisciplinaire et clairement communiqués
• une politique globale ainsi que des objectifs stratégiques et opérationnels sont définis sur la base d’états des lieux
• un suivi régulier est effectué avec des indicateurs
• de mesures d’amélioration visant les comportements (comme les conditions de travail), ces critères étant décidés de manière participative, mis en œuvre et évalués par les acteurs concernés.

En plus des méthodes et outils de GSE basés sur la pathogenèse, qui permettent d’identifier «ce qui ne va pas» ou de constater les effets négatifs sur la santé (absences et cas de burn-out ou de mobbing par exemple), les entreprises ont intérêt à réfléchir en termes de salutogenèse: quels sont les déterminants de la santé dans notre environnement, notre équipe, nos activités? Qu’est-ce qui va permettre à chacun.e de rester en équilibre, quelles ressources pouvons-nous renforcer ou ajouter, permettant de faire face aux risques inévitables auxquels nous sommes soumis ? Cette réflexion peut alors compléter une démarche de développement organisationnel.

Une GSE intégrée, un objectif à la portée de toutes les organisations

Aujourd’hui en Suisse, les organisations qui ont intégré la santé dans leur processus de gestion sont, pour l’instant, majoritairement des grandes structures de plusieurs centaines à plusieurs milliers de collaborateurs-trices. Pour autant, cet enjeu est aussi crucial pour le futur des PME.

Contrairement aux idées reçues, décider de faire de la santé au travail un atout stratégique et définir un cadre pour la gérer au quotidien ne demande pas de moyens financiers démesurés. Le patron d’une petite entreprise d’une vingtaine de personnes ou le directeur d’une PME employant 100 personnes constatera les mêmes plus-values, avec des approches moins formalisées, mais tout autant systématiques. Selon des estimations de Promotion Santé Suisse, le retour sur investissement est bel et bien là: pour chaque franc investi, un retour entre trois et cinq francs peut être anticipé.

À l’heure où le monde du travail et la société connaissent des défis sans précédent dans des environnements marqués d’incertitudes qui pèsent sur l’équilibre de tous, favoriser la santé au travail est l’une des réponses qui relèvent à la fois de l’obligation, du bon sens et de la responsabilité sociale des entreprises.

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Nadia Droz
Texte: Nadia Droz

Nadia Droz est psychologue spécialisée en santé au travail. Elle a un cabinet depuis 10 ans, où elle accompagne des personnes en burnout, des cadres et des personnes en transition professionnelle. En parallèle, elle intervient dans des organisations sur des thématiques comme le burnout, les risques psychosociaux et les harcèlements. Elle est coauteure avec Anny Wahlen du livre «Burnout, la maladie du XXe siècle?»

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Anny Wahlen

Le parcours de Anny Wahlen, psychologue du travail et des organisations, l’a menée de l’humanitaire au consulting, en passant par les ressources humaines de multinationales. Passionnée par les questions liées au stress et aux contextes qui le génèrent, elle intervient aujourd’hui auprès des équipes et des organisations aux prises avec les nouveaux défis du monde du travail.

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