Portrait

Rhéteur en droit

La Journée du droit du travail est une formule qui marche depuis plus de 20 ans. Gabriel Aubert, son créateur, est un passionné du droit et de la rhétorique. Avec un vif intérêt, il partage sa vie entre l’enseignement académique et la pratique du droit.

Bien situé au 5ème étage d’Uni mail à Genève, le bureau de Gabriel Aubert est une vraie bibliothèque. En plus petit bien sûr. Le professeur de droit du travail, aussi avocat indépendant à temps partiel, est bien installé dans sa tanière lumineuse, entouré de piles de documents et de grandes étagères emplies de livres et de classeurs.

On sent qu’il aime consulter les textes. Au milieu de la pièce, son ordinateur impressionne par sa taille. Il s’agit d’un grand écran, une manière de faciliter la lecture des nombreux documents qu’il parcourt.

C’est qu’il en a consulté des dossiers et des livres au cours de sa carrière riche et variée. Très chaleureux, l’homme s’affaire pour libérer un peu de place sur la table ronde pour nous accueillir. Le créateur des célèbres journées du droit du travail, est fier de les avoir lancées en 1990.

Depuis, leur succès s’est accéléré au fil du temps. Lors de la dernière édition, plus de 1000 participants ont fait le déplacement à Palexpo. Cette journée constitue la plus ancienne et la plus fréquentée des Journées de la faculté de droit. Une vraie réussite dans un contexte où la tendance est à augmenter les législations.

«Je pense que les problématiques, abordées de manière pratique et suffisamment vivante, correspondent aux besoins d’un public très varié qui vient nous écouter. Il faut susciter sans cesse leur intérêt, c’est la clé de la réussite. Concernant les participants, il peut s’agir de responsables RH, de juristes ou d’avocats spécialisés, de juges prud’hommes qui ont besoin de rester à jour sur l’évolution du droit du travail. De plus, le coût est très abordable à raison de 250 francs la journée», confie Gabriel Aubert.

Avec ce mandat annuel, l’homme est aussi devenu un expert de l’évènementiel. Car il gère d’une main de maître ce grand raout du droit du travail dont le budget avoisine les 200 000 francs, seul avec une secrétaire à mi temps et l’aide de ses assistants. Depuis le début, Gabriel Aubert  s’implique pleinement dans sa création, et même sa femme contribue au bon déroulement de la journée en y apportant sa touche personnelle.

«Je reconnais l’ampleur de la tâche pour mettre sur pied cette manifestation annuelle. Les deux mois qui précèdent sont plus que remplis et les vacances que je m’octroie après sont bien nécessaires», précise le professeur de droit.

Chaque édition met en avant des thèmes choisis par le professeur pour intéresser avant tout son public. Par exemple le licenciement abusif, le contrat de travail à durée déterminée, le calcul de la discrimination salariale ont été présentés dans le passé. L’édition de 2012 mettra l’accent sur le travail transfrontalier et ses conséquences pour les employeurs qui engagent une personne qui travaille de l’autre côté de la frontière.

Dans un deuxième temps, elle reviendra aussi sur les mesures administratives de répression du travail au noir. Et n’oublions pas la célèbre revue de presse des jurisprudences qui présente une quarantaine de petites histoires particulières. «Cette formule était nouvelle à l’époque et très appréciée du public», observe l’organisateur.

Un enseignant ancré dans la pratique

En parallèle de l’organisation de la journée du droit du travail, Gabriel Aubert occupe une charge de Professeur de droit du travail et de rhétorique. Il a d’ailleurs inauguré la chair en 2003. La branche le passionne et il voue un véritable culte à l’analyse des grands discours et des grandes plaidoiries.

«Il faut lire les présentations de Steve Jobs, comme celle qu’il a fait devant les étudiants de Stansford ou encore celles de Barack Obama. Elles répondent à tous les critères de la rhétorique classique», s’enthousiasme le professeur. La branche l’attire depuis toujours. Il a même sorti deux DVD sur le sujet.

En tant que professeur, il se dit exigeant et requiert la précision chez ses étudiants. Il aime leur contact, apprécie de travailler avec eux et se plaît à former la relève de demain.

«Pour enseigner, il faut toujours être à jour et aimer la pédagogie. C’est le métier que je souhaitais». Actuellement, il enseigne en  moyenne 4 heures par semaine. Il aime traiter des problèmes assez aigus comme le travail au noir sur les chantiers ou l’immigration clandestine qui touche à des thématiques humaines, sociales et politiques.

Il considère que la Suisse est un pays très bien positionné en matière d’emploi avec un taux de chômage relativement bas, en comparaison européenne. «Le monde du travail est moins protectionniste dans le droit suisse que dans le droit français. Il est beaucoup plus souple, tout comme le marché de l’emploi.»

Pour mener sa carrière, Gabriel Aubert a tendance à suivre le cours de ses envies. Il faut que le sujet soit attractif. En bref, le professeur de droit exerce toujours une activité qui lui plaît. Ainsi, l’homme est actif dans de multiples domaines dont tous ont en commun de susciter chez lui un très vif intérêt. Sa carrière oscille entre fonction privée et fonction publique et aussi entre une activité de salarié et d’indépendant.

«Lorsque l’on enseigne une branche comme le droit, ou même une autre matière, l’exercice du métier est indispensable. Je ne saurais pas de quoi je parle devant mes étudiants si je n’avais pas eu de pratique au barreau. Lorsqu’on n’a  pas défendu des gens en réalité, on ne connaît pas son sujet. C’est évident. Il faut avoir de l’expérience sur le terrain. D’ailleurs, cela se fait couramment dans le corps professoral d’exercer à côté de sa fonction académique», précise encore Gabriel Aubert.

Issu d’une longue lignée de professeurs

Après quelques années d’université, il obtient une licence en droit en 1973 et une licence en lettres (en français et en grec ancien) en 1974. Le droit l’emporte et après une formation à Genève et à Washington, il obtient son brevet d’avocat et se spécialise très vite en droit du travail.

En 1981, il réalise son doctorat sur l’obligation de paix dans les conventions col-lectives de travail. Il poursuit et obtient son brevet d’avocat en 1976. Il travaille pendant quelques années dans l’étude de Me Dominique Poncet qui le félicite d’avoir choisi cette branche car il sait qu’elle va se développer.

Cependant, le côté formation le titille. Issu d’une longue lignée de professeurs, il quitte donc le barreau et revient à l’enseignement. Gabriel Aubert a notamment donné des cours de procédure pénale genevoise aux avocats stagiaires. Dans les années 80, il a aussi été directeur adjoint du centre d’études juridiques européennes et a ensei-gné le droit européen à l’Institut universitaire d’études européennes à Genève.

Après quelques années comme chargé de cours à l’Université de Fribourg, il devient Professeur suppléant de droit du travail à l’Université de Lausanne de 1986 à 1988. Il trouve sa voie dans la carrière académique et poursuit sur sa lancée avec un poste de professeur ordinaire à l’Université de Genève à plein temps dès 1987 et à temps partiel depuis 1999.

Il a aussi enseigné comme professeur invité ou comme conférencier à Paris et à Lyon. Parmi ses nombreuses fonctions, il est président de la Chambre des relations collectives du travail qui traite les conflits qui interviennent dans le cadre professionnel. Il a aussi officié comme  président suppléant de la Chambre d’appel de la juridiction des prud’hommes à Genève et comme juge suppléant au Tribunal fédéral à la fin des années nonante pendant cinq ans.

De plus, son activité à l’université lui permet de se pencher aussi sur d’autres mandats comme celui que lui propose le BIT (Bureau international du travail) en 1992. A cette époque, il accepte de travailler comme consultant auprès du ministère du travail de la République d’Albanie, après l’effondrement de la dictature. Il a ainsi rédigé le code du travail du pays en 1995, ainsi que les décrets d’application.

Un travail de près de 3 ans en parallèle de ses autres activités. «Le défi était difficile. Il fallait construire à partir de zéro. Le code que j’ai rédigé est encore en vigueur. J’ai dû me rendre de nombreuses fois dans ce pays que j’ai découvert avec intérêt», explique Gabriel Aubert.

Véritable atout, ses diverses expériences lui permettent d’être polyvalent. Le professeur peut en effet analyser les choses de plusieurs points de vue: celui du législateur, du juge, de l’avocat et du professeur.

Parmi ses loisirs, et lorsqu’il lui reste du temps libre, il se dit attaché à ses racines genevoises. Il se passionne pour les beaux immeubles et leur histoire. Il a été le président de Patrimoine Suisse (Genève). A coup de procédures, il a milité plusieurs années pour la protection des monuments et des sites de la ville, en contribuant à sauver l’Hôtel Métropole et certains ensembles du Vieux-Carouge.

Mais son rôle de professeur de droit du travail et de rhétorique le passionne et remplit tout son temps. «Mon travail constitue mon hobby principal. Si je tiens la forme, j’ai quelque 2000 années de lectures devant moi.» De quoi remplir plusieurs existences!

Gabriel Aubert en 20 secondes

Un plaisir? La lumière, tôt le matin.
Une corvée? Les examens.
Un livre? L’Evangile de Jean.
Un plat? Le plat du jour.
Une boisson? Un pamplemousse pressé.
Un objet fétiche? Mon iPhone.
Le meilleur conseil reçu? Eloigne-toi des cœurs secs.

 

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Patricia Meunier est journaliste indépendante en Suisse romande. Elle collabore avec HR Today depuis 2010.

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