Portrait

Sans préjugés

Chercheurs infatigables, enseignants de talent, implantés dans les bons réseaux, Franciska Krings et Adrian Bangerter forment le couple le plus glamour de la communauté académique RH de Suisse romande. 

Ils sont beaux, intelligents et ambitieux. Ils se sont rencontrés à l’Institut de psychologie de l’Université de Berne pour ne plus jamais se quitter. Un vrai conte de fée. Mariés, deux enfants (des jumeaux, garçon/fille), ils occupent aujourd’hui des postes importants dans le milieu académique RH de Suisse romande. 

Elle, Franciska Krings, est Professeur ordinaire au département de comportement organisationnel et vice-rectrice à HEC Lausanne. Lui, Adrian Bangerter, est professeur ordinaire à l’Institut de psychologie du travail et des organisations de l’Université de Neuchâtel. A seulement 41 ans, ils ont déjà réussi leur carrière. Pour l’entretien, ils nous accueillent dans le bureau de Monsieur, à Neuchâtel. Un vrai chaos académique. Des livres et des feuilles volantes à travers la pièce. Au mur, sur un tableau noir, quelqu’un a gribouillé des formules mathématiques. 

On commence par elle. Spécialité: gestion de la diversité en entreprise. Comment les différences – éducation, milieu social, âge, genre, nationalité – influencent-elles la vie en organisation? Plus particulièrement lors des évaluations annuelles et des entretiens d’embauches. Avec ses étudiants, elle crée des dossiers de candidatures fictifs, tous identiques, et laisse apparaître uniquement l’indicateur étudié: l’âge, la nationalité ou le genre par exemple. 

Résultats: «Les attitudes des recruteurs sont multiples. On ne peut pas tirer de lien direct entre une nationalité et un refus d’embaucher. Plusieurs facteurs entrent en compte. L’attitude du recruteur, le profil du poste ou le contact avec la clientèle-» 

«Un préjugé ne se résume pas uniquement à une attitude négative» 

Ces recherches l’ont menée à s’intéresser de plus près à l’impact des stéréotypes dans la vie en entreprise. Un phénomène lui aussi complexe. Elle explique: «Un préjugé ne se résume pas uniquement à une attitude négative. Le négatif est toujours accompagné d’un élément positif. Les femmes blondes sont perçues comme stupides et belles. Les employés âgés sont lents et loyaux. Une femme est moins compétente mais plus douée dans le relationnel. Ces stéréotypes de compensation nous autorisent en quelque sorte à les utiliser. 

Mais ces attitudes ne sont évidemment pas fondées. Les recherches l’ont montré: il n’y a que très peu de différences entre un homme et une femme.» Cela dit, tout le monde décrypte le réel avec des préjugés et des stéréotypes, poursuit-elle. Le danger est de les refouler. Car ils vont ressurgir plus tard de manière plus violente. «A l’inverse, si vous êtes conscient du processus mental qui vous habite, vous serez capable d’y réfléchir et de prendre des décisions plus équitables». 

Sur le terrain, Franciska Krings propose des jeux de rôles aux managers inscrits au Executive MBA de l’Université de Lausanne. Avec des dilemmes à résoudre. Une décision qui favorise le business, mais qui va à l’encontre du principe de diversité. Comment trancher? Les cadres sont invités à débattre. «La diversité n’est pas seulement une question de promotion des minorités. Il faut aussi intégrer la dimension business de ces problématiques. L’enjeu est de développer des attitudes positives.» 

Le champ académique d’Adrian Bangerter est tout proche. Lui s’intéresse aux processus de recrutement et à la relation qui se construit entre une organisation et un candidat. «Un recrutement est comparable à un mariage. L’entretien de recrutement sera leur première rencontre. Chacun tente de séduire l’autre.» 

Il explique: «Idéalement, ce processus devrait être une collaboration afin d’échanger les meilleures informations et d’arriver à la combinaison parfaite. Mais en étudiant le jargon utilisé dans les médias et les manuels de recrutement, on constate énormément de méfiance. Le processus est vu comme une arène où chacun doit tenter de démasquer l’autre. 

Le candidat cherche à flatter, à masquer ses défauts, il est parfois prêt à utiliser des stratégies malhonnêtes pour arriver à ses fins. De son côté, le recruteur est très souvent sur ses gardes, il vit dans une guerre des talents, il a peur de se faire avoir et cherche à découvrir la vraie personnalité de son interlocuteur.» 

«Les entretiens structurés sont encore mal perçus et peu diffusés» 

Pour quitter le cercle vicieux, il conseille de recourir à des entretiens structurés, qui décortiquent les compétences techniques et sociales des candidats. «Ces méthodes sont encore mal perçues et peu diffusées en Suisse romande. Les entreprises préfèrent laisser beaucoup de liberté aux recruteurs, avec une vision individualiste et romantique de leur métier. Les champions de l’intuition existent bien, mais ils sont rares. Et que faites-vous si ce recruteur doué quitte votre organisation?» 

Adrian Bangerter anime d’ailleurs un module sur le recrutement dans le cadre du MAS RH des Universités de Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg. Pour avancer dans leurs recherches, Franciska Krings et Adrian Bangerter s’entourent d’assistants et de doctorants. Cinq chacun. Ils publient ensuite leurs résultats dans les revues scientifiques prestigieuses à travers le monde.

Bienvenue dans le panier de crabes de la vie académique. Un milieu très dur, en forme d’entonnoir inversé, où seulement les plus forts parviennent à décrocher des postes. Eux y sont parvenus. Combien n’y arriveront jamais? Adrian Bangerter: «C’est vrai, le milieu est très compétitif. Un étudiant qui termine son doctorat doit dégager le plancher. Il doit être capable de séjourner dans d’autres pays, accepter des salaires au-dessous du marché.» 

Son épouse, qui vient justement d’être nommée vice-rectrice de la relève académique de l’Université de Lausanne, ajoute: «Et pendant ce temps, il faut publier plusieurs fois par année dans des revues de haut niveau. Montrer que vous êtes un chercheur indépendant. Puis avec un peu de chance, vous décrocherez un poste de professeur.» Comble de cette course-poursuite: une fois installés, les professeurs ont tendance à diminuer le rythme des publications. Et sont également de moins en moins évalués. Ce n’est pas encore leur cas. 

«Nous évitons de parler du travail en présence des enfants.» 

Eux ont encore une famille à nourrir et des ambitions plein la tête. Installés à Bevaix (Neuchâtel), plus ou moins à équidistance de leurs chaires respectives, ils partagent la garde des enfants avec une fille au pair. Elle travaille à la maison le vendredi. Lui le lundi. 

«Mais le travail déborde souvent sur nos soirées et nos week-ends», glisse Adrian Bangerter. Elle le reprend: «Nous avons appris à nous fixer des limites. On évite de parler de travail en présence des enfants.» Née à Cologne, père juriste et mère au foyer, Franciska Krings est entrée en psychologie à reculons. «C’était un peu par hasard. Mais je ne pourrais plus m’en passer aujourd’hui. » 

D’origine suisse, Adrian Bangerter a grandi en Indonésie, père ingénieur chez Nestlé et mère enseignante. De retour en Suisse, après un gymnase à Burier (canton de Vaud), il hésite lui aussi. «C’est en lisant un bouquin de Freud qui j’y ai pris goût». On leur demande s’ils sont adeptes de thérapies ou de psychanalyses. «Non», coupent-ils. «Nous ne sommes pas des consommateurs.» 

 

Le couple en 20 secondes 

Un plaisir? Lui: Le shopping. Elle: Boire un café au lit, le dimanche matin avec le journal. 

Une corvée? Elle: Le repassage. Lui: Remplir des formulaires. 

Un livre? Lui: La route de Cormac McCarthy. Elle: Talk talk de T.C. Boyle.

Un plat? Elle: Des pâtes. Lui: La cuisine indienne.

Une boisson? Lui: Le champagne. Elle: Aussi. 

Le meilleur conseil reçu? Elle: «Ne te fais pas de soucis», me disent souvent mes enfants. Lui: Sois indépendant, une attitude reçue de mes parents.

 

Bio express 

Lui 

  • 1993 Licence en psychologie générale (Lausanne) 
  • 1998 Doctorat en psychologie (Berne) 
  • 2003 Professeur ordinaire à l’Uni de Neuchâtel 

Elle 

  • 1995 Licence en psychologie générale (Bâle) 
  • 1998 Doctorat en psychologie (Berne) 
  • 2010 Professeur ordinaire à Université Lausanne

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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