Gestion de la relève

Un banquier privé genevois révèle son modèle de gestion de la relève

Comment réagir quand votre pool de talent montre des signes de porosité et que les entretiens de départ mettent en cause une faible visibilité de carrière sur le moyen/long terme. Voici le détail du modèle de gestion de la relève mis en place en 2008 chez le banquier privé genevois Lombard Odier. Avec des conseils pour la mise en pratique. 

Qui n’a pas entendu ses managers lui dire: «La relève, oui c’est bien, mais le processus doit être simple, clair et rapide…». Quadrature du cercle habituelle lorsqu’il s’agit de processus RH. Cette exigence est restée en point de mire du modèle que nous avons développé chez Lombard Odier en 2008.

 

Bilan social: outil de pilotage

Les chiffres clés sur nos mouvements d’effectifs, publiés annuellement en interne dans notre bilan social, ont été un détonateur dans la prise de conscience de l’importance à accorder à une certaine catégorie de la population de notre Maison. 

En effet la majorité de nos départs volontaires avaient entre 30 et 35 ans et moins de 5 ans d’ancienneté. L’analyse de ces départs, basée sur les entretiens individuels, mettait en exergue une frustration liée au manque de perspective d’évolution de carrière. Il ressortait par conséquent que les départs concernaient principalement les collaborateurs avec lesquels nous voulions construire l’avenir: bien formés, riches d’une expérience significative dans notre Groupe et de compétences propres à notre Maison. En d’autres termes, notre vivier de relève pour des postes de direction s’asséchait par manque de visibilité de carrière.

Le modèle

La gestion de la relève couvre un double objectif: la succession des postes clés et la rétention des talents. Nous visons à prendre soin de nos collaborateurs et non pas à créer des plans de successions et autres plans de carrière qui prennent la poussière dans nos tiroirs. 

Le talent est celle et celui qui démontre le potentiel à conduire notre Maison dans son développement et sa croissance future. Le pari sur le potentiel repose en partie sur des réalisations et des succès probants sur une certaine durée.

La méthode

Concrètement, la première phase de notre projet a consisté à définir les étapes du processus et à les inscrire dans le calendrier annuel des processus RH (évaluation, nominations, révisions des rémunérations… voir annexe 1) . 

Pendant l’été, les RH et les chefs d’unité identifient les postes clés de leur secteur (analyse de la demande) et identifient leur relève (analyse de l’offre). Début septembre, les RH se chargent de synthétiser ces informations et de présenter une cartographie de «l’offre et de la demande» telle qu’elle existe à un temps T. 

Ce travail en amont permet de préparer la séance du comité de relève qui se tient fin septembre lors d’une séance spécifique du Collège des Associés. Le mapping, théorique à ce stade, permet de visualiser de façon simple les écarts entre notre offre et notre demande. 

Nous avons ainsi pu mettre en évidence les endroits dans notre organisation où nous sommes à risque de défauts de talents et à l’inverse des secteurs plus «riches» en talents. Avons-nous des lacunes sur certaines compétences? Devons-nous mettre en place des formations internes et/ou recruter des collaborateurs au bénéfice de ces expériences? Un des buts du comité est de discuter des actions à entreprendre à la lumière de ces constatations.

Analyse de la demande

Cette analyse revient à identifier les postes clés de notre organisation. Les critères d’identification sont les suivants: 

  • Impact important sur les résultats de l’entreprise 
  • Lien avec les axes de développement stratégiques de l’entreprise 
  • Impact sur le fonctionnement de la structure 
  • Rareté et spécificité des compétences requises offrant un avantage concurrentiel 
  • Envergure managériale du poste 

Il suffit de répondre au moins à un de ces critères pour que le poste soit considéré comme clé. 

Analyse de l’offre 

Cette analyse revient à identifier la relève au sein de notre organisation. Nous avons élaboré une matrice de segmentation de notre population qui repose sur les principes de la «Boston Grid» (annexe 2) avec en abscisse «Le degré d’influence» à savoir le niveau de contribution aux résultats de l’entreprise, et en ordonnée «Le besoin en investissement sur la personne» en termes de formation, d’encadrement … 

Les segments 

Collaborateur en formation: collaborateur qui débute sa carrière professionnelle et qui exige encore d’être formé.

Potentiel: cf Talent ci-dessus.

Pilier: collaborateur qui génère une valeur ajoutée plus élevée que son coût. 

Collaborateur à réorienter: collaborateur dont l’avenir n’est plus dans le poste qu’il occupe, soit l’entreprise investit à nouveau dans ce collaborateur et le «recycle», soit elle s’en sépare. 

Par expérience, nous avons constaté que le segment Potentiel était trop vaste, nous avons donc affiné ce segment en deux sous-catégories: les potentiels actuels et les potentiel futurs. La différence entre ces deux sous-catégories réside dans le niveau de maturité à occuper un poste de direction. On estime que les premiers peuvent occuper un poste de direction d’ici 1 à 2 ans, alors que l’horizon temps pour les seconds est entre 3 à 5 ans.

Identification et Evaluation

Les indicateurs tirés de notre bilan social nous ont servis de critères de tri initial et indicatif pour identifier le segment des Potentiels: âge entre 30 et 45 ans et ancienneté dans l’entreprise entre 3 et 7 ans. 

Critères qualitatifs 

  1. Capacité à élaborer un projet de manière stratégique 
  2. Capacité à décider, communiquer et faire appliquer ses décisions 
  3. Capacité à attirer, motiver et développer les collaborateurs 
  4. Capacité à obtenir des résultats 

Chaque critère a été défini sur la dimension de la conception et de l’action. En effet, la capacité conceptuelle est nécessaire pour occuper un poste de direction, mais elle doit être conjuguée à la capacité de décision. A l’inverse, l’aptitude à agir sans que cela repose sur une réflexion approfondie peut être contre-productive. 

L’intérêt premier de la méthode est de structurer la démarche et d’ouvrir un dialogue avec les managers à l’aide d’outils de prise de décision. Le vrai travail d’identification commence avec les discussions que nous menons avec chaque chef d’unité

Rôle des managers

Une fois par an, les RH rencontrent les chefs d’unité pour passer en revue l’ensemble de leur structure et collaborateurs à l’aune du processus relève. En général, les managers sont ouverts à ces discussions, même si parfois certains préfèrent nous envoyer un mail avec la liste de noms plutôt que de consacrer une heure à cette discussion. Il est donc important de bien expliquer les enjeux de la gestion de la relève ainsi que le modèle, dont la principale utilité est de réduire le travers subjectif de l’évaluation et d’utiliser les mêmes critères de façon transversale au sein de l’entreprise. 

Alors qu’il est aisé de faire accepter les différents segments de la relève, force est de constater qu’il est plus ardu de leur faire utiliser la grille de critères qualitatifs, plus contraignante à leurs yeux. Les discussions avec les managers peuvent être animées si les appréciations divergent, nous conseillons donc de ramener la discussion sur des faits concrets, des réalisations visibles et explicables. 

Le but de ces réunions est aussi de réfléchir à des scénarii de carrière pour la relève: «Où est-ce que je vois ce collaborateur dans 3, 5 ou 10 ans?». Exercice périlleux peut-être, mais qui a l’avantage d’esquisser des pistes pour l’avenir. 

A la notion de plan de carrière souvent rigide, nous préférons le principe des scénarii plus flexibles, car non planifiés, qui restent des pistes d’évolution et non pas des promesses de carrière. Notons aussi que chaque collaborateur a l’occasion d’exprimer, verbalement et par écrit, ses désirs d’évolution à court et moyen terme lors de l’évaluation annuelle.

Les Actions 

Les actions collectives 

Nous avons organisé en 2009 un séminaire de deux jours destiné aux collaborateurs identifiés selon la méthode ci-dessus. Ce séminaire a été animé par nos Associés et la DRH. L’objectif principal était de créer un réseau entre ces collaborateurs et de les encourager à travailler ensemble. L’autre objectif était de les faire travailler sur des études de cas propres à notre Maison, en les mettant en contact direct avec nos Associés. 

Les feedbacks sur ces deux jours ont été très positifs, en particulier quant à l’opportunité qui leur a été donnée de créer des liens entre eux et avec les associés, de même ils ont considéré cette invitation comme un signe fort de reconnaissance. 

Les actions individuelles 

La participation à des formations spécifiques, l’expatriation dans un de nos bureaux extérieurs, de même que la prise de responsabilités plus importantes font partie des types d’actions individuelles qui sont menées. 

En plus des discussions formelles qui ont lieu une fois par année avec leur manager, un entretien annuel est fixé avec les RH afin d’évaluer le degré de satisfaction de ce segment de la population.

Dire ou ne pas dire?

La question de la communication sur le processus relève s’avère délicate, car la gestion de la relève ne vise pas à créer une élite. Ce processus est annuel et donc itératif, les «places» sont remises en jeu chaque année. Dès lors, nous n’avons pas opté pour une communication institutionnelle, mais pour une communication par l’exemple. 

En ayant connaissance des actions collectives mises en place dans l’entreprise, nous espérons créer une émulation positive au sein des collaborateurs et leur donner envie de participer à ces actions. Nous n’avons à ce jour pas suffisamment de recul pour confirmer que c’est la meilleure manière de faire, mais le choix de dire ou non dépend beaucoup de la culture d’entreprise.

Conclusion

Mis en place fin 2008, notre modèle n’a qu’une année d’existence. Le recul est court pour affirmer qu’il nous a permis de retenir nos talents, de plus le contexte économique de ces deux dernières années nous a aussi aidés dans ce sens. Cependant, on peut noter que les managers sont maintenant familiers avec l’approche, qu’ils apprécient sa simplicité et que les individus ayant pris part au séminaire précité se sentent plus reconnus que précédemment.

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Antonina Munafo est Directrice Adjoint Ressources Humaines chez Lombard Odier. Elle est licenciée en lettres de l'Université de Genève et titulaire d'une formation PED (Program for Executive Development) de l'IMD Lausanne.

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