Burnout

Confiance en soi et gestion du temps face au burnout

Les personnes souffrant de burnout devraient – si possible – éviter de partir en congé et prendre conseil auprès de spécialistes pour changer leur organisation du temps de travail. Et si nécessaire, réfléchir à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Interview avec le psychiatre zurichois Wulf Rössler, qui travaille avec des patients en burnout.

HR Today: Le risque du burnout est-il plus élevé aujourd’hui ou est-ce que tout simplement devenu «une mode»?

Wulf Rössli: C’est un peu des deux. D’un côté, les entreprises doivent devenir plus performantes alors que les ressources ont tendance à diminuer, ce qui augmente la pression. De l’autre, avoir survécu à un burnout a presque un côté chic aujourd’hui. C’est la preuve que vous êtes capable de vous sacrifier pour l’entreprise. A cela, il faut ajouter que la société accepte mieux quelqu’un qui a souffert d’un burnout que d’une dépression. Il manque encore des chiffres pour étayer ces thèses, mais il faut noter aussi que les personnes motivées ne souffrent pas toutes de burnout.

Comment se définit le burnout d’un point de vue médical? 

Au sens strict, le burnout n’est pas un diagnostic psychiatrique. Le terme burnout se définit d’abord par rapport au monde professionnel. Et nous ne connaissons pas de diagnostics qui sont liés à certaines situations. Le diagnostic psychiatrique officiel du burnout s’appelle un trouble de l’adaptation. Ce qui correspond partiellement à la réalité. Car pour des raisons diverses, le patient n’est plus en mesure de s’adapter aux conditions de travail. De ce point de vue, ce n’est pas suffisant de définir le problème uniquement du point de vue du patient. 

Le risque est-il plus élevé chez certaines personnes plutôt que d’autres? 

Il y a des traits de la personnalité qui font que certains sont plus prédisposés au burnout que d’autres. Parmi eux, une volonté exacerbée pour la réussite, un fort attachement au travail et une certaine incapacité à dévoiler ses sentiments ou à faire prévaloir ses propres intérêts, de dire non en quelque sorte. Et c’est là tout le problème du burnout. Il concerne les collaborateurs que l’employeur apprécie particulièrement. Mon ancien patron disait: «Du bon travail sera récompensé avec plus de travail». Et il avait raison. Celui qui travaille de façon impeccable, risque d’être soupçonné de ne pas avoir assez à faire. A côté de ces traits de la personnalité, d’autres conditions doivent être remplies pour qu’éclate un burnout: une surcharge de travail qui ne serait pas reconnue. C’est très important que ce que les anglo-saxons appellent le Effort-Reward-Balance soit respecté.

Les hommes sont-ils plus menacés que les femmes? 

En principe oui. Leur personnalité les y prédisposent. Mais les femmes courent d’autres risques. Elles se destinent souvent à être parfaites et performantes dans tous les domaines – au travail, avec leurs enfants, dans leur couple et dans les soins apportés aux parents. Beaucoup de femmes perdent leur équilibre intérieur en voulant satisfaire tout le monde. Et c’est très difficile d’apporter un soutien psychologique à ces femmes. Elles sont persuadées d’être les seules à pouvoir effectuer ces tâches dans les règles de l’art. 

Comment prévenir le burnout?

Il faut d’abord réduire la charge de travail de manière raisonnable. Un bon management du temps peut aider. Il existe plusieurs techniques, comme le modèle ABC-Tasks par exemple. Une tâche A doit être réglée rapidement et seulement par soi-même. Dans la catégorie B, on trouve les tâches urgentes mais qui peuvent être déléguées. Enfin, une tâche C peut sans autre être mise de côté. Quand certaines choses traînent pendant deux semaines et que personne ne s’en plaint, vous avez affaire à des tâches C. L’autre aspect important de la réduction de la charge de travail est déléguer le surplus aux bonnes personnes. La personne qui s’en chargera devra recevoir les informations nécessaires à l’avance. Mais déléguer est parfois un processus difficile car cela implique de laisser à d’autres certaines compétences et donc un peu de votre pouvoir. 

Et vous, avez-vous été confronté au burnout? 

Il y a environ une année et demi, j’ai remarqué que j’avais perdu le plaisir de travailler. Ce qui ne m’était encore jamais arrivé. J’ai fait les mêmes erreurs que je vois chez mes patients. Je travaillais le soir et le week-end et mon programme de la journée était si chargé que je ne parvenais jamais à tout terminer. Ma frustration s’est donc mis à grimper constamment.

Comment êtes-vous sorti de l’impasse? 

Je connaissais toutes les techniques. J’ai simplement dû être conséquent en les appliquant. J’ai donné une nouvelle structure à mon emploi du temps. Je me suis concentré sur l’essentiel et j’ai délégué, parfois à contre-cœur, tout ce qui était possible. Je garde toujours en mémoire l’exemple de mon ancien patron: il avait deux bureaux. Dans le premier, il réglait ses affaires cliniques. Dans l’autre, il menait ses recherches. Chaque collaborateur savait qu’il tenait à cette séparation des tâches. Et quand il était dans un bureau, personne ne venait le déranger avec des affaires qui concernaient son autre domaine d’activité. Les dirigeants qui ont beaucoup de responsabilités doivent impérativement être très bien organisés afin de liquider tout ce qu’il y a à faire et afin de résister à la pression qui en découle. Un autre aspect important est la capacité à éliminer la peur. Celui qui laisse entrer la peur, précipite la fin de sa carrière. 

Qu’entendez-vous par «éliminer la peur»?

Un exemple: on ne doit pas se faire engloutir par la peur de n’avoir pas pris la bonne décision. Car on risque alors de douter à chaque décision délicate à prendre. Quand la tension ne baisse pas, j’analyse la situation de près et je me demande si j’ai commis une erreur dans le processus décisionnel. Une fois arrivé au bout de ce contrôle et qu’on se rend compte que la décision a été prise dans les règles de l’art, c’est très réconfortant. Mais il peut aussi arriver qu’une décision doive être corrigée. Et cela demande beaucoup de courage, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

Quand quelque chose ne tourne plus rond, qui le remarque d’abord, le collaborateur ou son entourage? 

Les deux. C’est-à-dire chacun à sa manière. Celui qui est concerné par le burnout se sentira insatisfait de ses performances. Son premier réflexe sera de travailler encore plus dur. Mais l’effet désiré ne s’opérera pas et l’insatisfaction couplée à la difficulté à se concentrer iront croissants. Le collaborateur est pris dans un cercle vicieux que son entourage ne manquera pas de remarquer: il sera irritable, agité ou aura tendance à se retirer dans son coin. 

Que se passe-t-il au niveau biologique ou biochimique? 

Les gens qui sont stressés de manière chronique ont un taux élevé de Cortisol, qui est l’hormone du stress. Des études ont montré qu’un taux élevé de Cortisol a tendance à diminuer la capacité mémorielle. L’incapacité qu’a un collaborateur en burnout de se concentrer a donc une explication biologique. Mais après un certain moment, les patients souffrent également de symptômes psychosomatiques. Les plus classiques sont des maux de ventre, une pression artérielle élevée ou des difficultés respiratoires. Ce genre de symptômes psychosomatiques est mieux accepté dans notre société que des difficultés psychiques. 

Le médecin généraliste est-il en mesure de déceler un burnout en face d’une pression trop élevée?

Souvent, les médecins se concentrent trop sur l’individu. Ils oublient de tenir compte de l’entourage. Ils luttent contre une forte pression avec des médicaments sans s’attaquer au cœur du problème. Naturellement, un médecin remarquera si son patient est débordé professionnellement. Mais il doit pouvoir lui offrir autre chose que simplement lui conseiller de moins travailler. Cela n’aide pas le patient, car dans la plupart des cas il le sait déjà.

Toutes les personnes stressées ou qui ont mal au ventre doivent-elles craindre le burnout?

Non. Les gens doivent aussi savoir être résistant, en principe, le stress n’est pas mauvais. Pour beaucoup, le stress représente même quelque chose de positif. Il ne faut simplement pas qu’il soit permanent. Le burnout peut être divisé en trois composantes essentielles: une diminution des performances personnelles, une fatigue émotionnelle et une répulsion intérieure au travail. On parle de burnout quand ces trois conditions sont remplies. 

Un patient victime d’un burnout sera-t-il soi-gné en ambulatoire ou à l’hôpital? 

Cela dépend des cas. Si le patient est encore en mesure de s’auto-gérer, un traitement ambulatoire suffit. Et en l’espace de quelques semaines, il sera de nouveau d’attaque. Quand c’est possible, j’évite de sortir le patient de son milieu professionnel car le burnout n’est pas un problème individuel mais aussi un problème de l’entreprise. Je travaille par conséquent aussi avec les supérieurs hiérarchiques directs et les responsables RH de mes patients. Ils portent également une grande responsabilité. Mais quand c’est nécessaire de sortir le patient de son milieu professionnel cela veut dire qu’il doit se retrouver lui-même et travailler sur une nouvelle image de lui-même. Ce processus est long et difficile. Il arrive aussi parfois que nous traitions ce genre de patients avec des médicaments. Il existe aussi des ateliers de groupe ou individuels durant lesquelles les patients apprennent à s’exprimer par d’autres moyens que la parole, l’art par exemple. Le sport et la mobilité sont d’autres facteurs importants du rétablissement, car ils doivent retrouver le chemin vers un équilibre de vie sain. L’entourage familial est une composante importante. Elle doit soutenir et servir de socle à la personne en difficulté. 

Le burnout laisse-t-il des séquelles? 

Un burnout chronique peut laisser des traces à jamais. Ces personnes ne retrouveront jamais leur forme réelle et devront être assistées socialement. Le burnout peut toucher toutes les classes d’âge. Chez les plus âgés, il s’agit le plus souvent de symptômes psychosomatiques. Réinsérer ces personnes dans le monde du travail est presque impossible. D’autre part le burnout est souvent lié à des problèmes d’alcoolisme. Certains essaient de résister au stress chronique avec l’alcool. Mais l’option de la bouteille est très dangereuse car la dépendance arrive rapidement. Surtout chez les gens qui doutent beaucoup d’eux-mêmes. 

Les dirigeants d’entreprise devraient-ils afficher plus clairement leurs burnouts? 

Mon avis est partagé. D’un côté, il ne faut pas sous-estimer ce genre de difficultés psychiques, de l’autre je ne conseillerais à personne d’annoncer à tout le monde qu’il souffre d’un burnout. Les difficultés psychiques sont un signe de faiblesse et cela peut être à double tranchant de montrer ses faiblesses dans le monde du travail. Quand certains verront dans leur chef malade un être humain sensible, d’autres se précipiteront pour dénoncer son incapacité à résister au stress. Notre éthique professionnelle est basée sur une capacité de travail illimitée. Et plus quelqu’un occupe un posté élevé dans la hiérarchie, plus il doit faire preuve de résistance. De mon côté, je conseille à mes patients de faire ce qui leur semble le mieux pour eux. Je ne dirai jamais à un de mes patients d’en parler ouvertement pour que le problème devienne un sujet de société. Il existe cependant certaines personnes qui ont envie de partager leurs difficultés avec leurs collègues de travail. Dans ce cas-là, nous réfléchissons ensemble pour savoir à quelle occasion et sous quelle forme il faudrait en parler. Pour les personnes concernées, le partage est également une sorte de soulagement.

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Marianne Rupp est journaliste spécialisée en ressources humaines.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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