Le licenciement

Désamorcer les conflits potentiels avant d’aller vers le licenciement

Le licenciement est un processus très explosif qui peut considérablement déstabiliser une organisation, que ce soit la personne licenciée ou son chef direct. Dans le contexte légal suisse relativement libéral, les pièges sont nombreux. Quelles sont les précautions à prendre pour éviter qu’un tribunal ne juge le licenciement abusif? Les conseils d’une spécialiste. 

Sensible. Le processus de licenciement est un sujet difficile à traiter en entreprise. Selon la situation personnelle de l’employé remercié, les conséquences sur sa vie privée peuvent être dramatiques. Un licenciement est souvent un phénomène déclencheur de problèmes familiaux, un cercle vicieux difficile à briser. 

 

Mais le processus est également mal vécu du côté de l’employeur. Ce dernier se sent souvent responsable, ou du moins impliqué, dans les situations qui se nouent devant ses yeux. Mal préparés à ces entretiens difficiles, les responsables RH apprécient moyennement d’être considérés comme les spécialistes du licenciement. Ils ont pourtant un rôle clé à jouer durant tout le processus. Quels sont les enjeux? Quels sont les risques et les mesures préventives à prendre? Réponses avec l’avocate Christine Sattiva, spécialiste FSA en droit du travail et vice-présidente au tribunal de prud’hommes de l’Est vaudois. 

«Réorganisation; restructuration ou changement d’orientation» 

Le principe de la liberté de résiliation est une particularité du droit suisse. Découlant de la liberté contractuelle (pour l’ensemble du cadrelégal du licenciement en Suisse, lire l’article de Marianne Favre Moreillon en page 20-21), ce principe autorise un employeur à donner le congé à des collaborateurs sans en préciser d’emblée le motif. 

En règle générale, l’employeur indiquera une «réorganisation; restructuration ou changement d’orientation». Ces trois motifs sont communément acceptés par les tribunaux et ne posent guère de problèmes vis-à-vis des assurances sociales. Un employé licencié pour un de ces trois motifs pourra donc, sans aucune autre forme de justification, toucher ses indemnités de chômage. 

Licencier un collaborateur pour motif économique implique un petit risque, car si l’employeur remplace cette vacance par un poste de salaire équivalent, voire supérieur, l’employé licencié pourra lui reprocher cette incohérence, signe parfois d’un abus de droit. Cela dit, et en comparaison avec le droit du bail suisse qui prévoit une grande protection du locataire, le droit du licenciement est plutôt favorable à l’employeur puisqu’il ne prévoit jamais la nullité du congé donné même abusivement au travailleur, sous la seule réserve de l’article 10 de la loi sur l’égalité entre femmes et hommes. 

Cette spécificité est une des raisons qui poussent de nombreuses sociétés étrangères à venir s’implanter en Suisse. «J’ai connaissance d’une entreprise française qui a réalisé que c’était beaucoup plus agréable d’avoir des contrats de travail de durée indéterminée soumis au droit suisse. Elle a depuis considérablement développé ses activités en Romandie», note Christine Sattiva. Cette liberté de licencier explique également pourquoi la majorité des contrats de travail sont de durée indéterminée dans notre pays. 

Pour l’employé, un licenciement est toujours un monde qui s’écroule 

Pour l’employé, le licenciement est toujours un monde qui s’écroule. «Les employés passent souvent beaucoup de temps dans leur environnement professionnel qui représente fréquemment le reflet de la considération sociale dont ils jouissent. L’annonce d’un licenciement est à mettre sur le même pied que celle d’une séparation à la suite de difficultés conjugales; c’est d’ailleurs un processus de divorce d’avec l’employeur ou l’entreprise. 

De plus, un licenciement a souvent d’importantes conséquences sur la vie privée du collaborateur tant au niveau de sa santé que de ses finances», note Christine Sattiva. Pour cette raison, et afin d’éviter le qualificatif d’abusif, un licenciement ne doit pas tomber du ciel. 

«L’employeur peut et doit donner des appréciations sur le travail de son employé, d’autant plus fréquemment que l’employé ne donne pas satisfaction et si nécessaire remettre les choses au point. Sinon, il lui sera reproché de ne pas avoir averti son collaborateur, donc d’agir de manière contraire à la bonne foi en le congédiant. Si le licenciement est contesté et que les parties se retrouvent au tribunal, les mesures prises par l’employeur en amont du licenciement seront examinées de près pour déterminer s’il a satisfait à toutes ses obligations, notamment à celle de protéger la personnalité de son collaborateur. Les employeurs ont tendance à oublier qu’il leur incombe de garantir un climat de travail serein à leur personnel.» 

Christine Sattiva conseille également d’éviter autant que possible de licencier un collaborateur en lui enjoignant de quitter immédiatement son poste de travail sans pouvoir y revenir; il est préférable de conserver la personne licenciée en poste à tout le moins pendant une partie du délai de congé. «Sinon, même si le collaborateur licencié n’a commis aucune erreur, ses collègues vont le considérer comme étant en faute. Cela risque non seulement d’être mal vécu mais également de donner une assise juridique à la réclamation de l’employé qui prétendra avoir subi une atteinte illicite à sa personnalité.»

Enfin, l’attitude de l’employeur doit être sans équivoque: ne pas féliciter quelqu’un pour lui donner son congé deux jours plus tard. La plupart des employeurs sont mal à l’aise avec le processus. Ils craignent les réactions excessives voire violentes des personnes à qui l’on vient de donner le congé. Christine Sattiva évoque le cas d’un employé licencié par le service RH, qui n’a pas hésité à s’en prendre physiquement à son directeur responsable selon lui de son licenciement, au point que l’affaire prenne une tournure pénale.

Le processus révèle également la posture ambiguë des responsables RH dans l’organisation. Christine Sattiva: «Les RH sont soit considérés comme des gentils vers qui on se tourne pour se faire aider quand on a des problèmes avec son chef ou ses collègues ou alors comme des affreux qui donnent des avertissements et licencient sans scrupules. » 

«Ne jamais s’impliquer, perdre sa distance ou son jugement» 

En réalité, les cadres et les responsables RH sont souvent mal préparés. Christine Sattiva: «Il ne faut jamais s’impliquer, perdre sa distance ou son jugement lorsqu’on doit licencier quelqu’un. D’où l’avantage de faire appel à un avocat qui peut, parce qu’il est extérieur à l’entreprise, tenir des propos qui seront ressentis comme méchants par l’employé.» 

Pour l’employeur, l’objectif est de désamorcer toutes les difficultés qui pourraient, une fois le licenciement prononcé, le transformer en licenciement abusif. «Si vous estimez ne pas avoir fait tout votre possible pour la sérénité du climat de travail, il est souvent préférable de réintégrer la personne le temps de dénouer les conflits ou les malentendus en cours. Mais c’est plus simple à dire qu’à faire. Dès qu’une personne est mise de côté, des clans se forment et l’élément perturbateur peut se retrouver conforté dans sa position. 

L’employeur devrait réagir rapidement à ce moment-là pour recadrer les choses, mais cela implique d’oser se confronter à des collaborateurs parfois très remontés. Une réaction rapide de l’employeur permet cependant d’éviter ensuite de licencier une personne qui apparaît en réalité comme une victime et aura beau jeu de crier au scandale en dénonçant le caractère abusif de son congé.» 

Ces conseils devraient éviter qu’un processus de résiliation de contrat de travail ne se termine au tribunal. «Un procès est toujours long et tendu pour les parties. Le collaborateur va tenter de démontrer que l’attitude de son ex-employeur était équivoque, déraisonnable. Ce dernier va éplucher le dossier de son ex-employé afin de prouver son incompatibilité avec le cahier des charges. En général, l’employeur est dans une position de force, car la pression sur l’employé est énorme. Mais l’inverse est aussi vrai. Une petite PME peut très bien devoir plier face à un collaborateur défendu par un syndicat.» 

Depuis le 1er janvier 2011, la nouvelle procédure fédérale pénale et civile permet de recourir à une médiation avant ou au lieu de saisir un tribunal. Le mécanisme, qui a pour but d’éviter les procès inutiles, a tout de même un certain prix. Il faudra compter plusieurs séances de médiation, plus les frais d’avocats si vous choisissez de vous faire assister. 

Conclusion de Christine Sattiva: «Dans certains cas, s’arranger avec le collaborateur en lui offrant un ou deux mois de salaire supplémentaire est la meilleure solution, économiquement du moins.» Le grand avantage de la médiation, c’est qu’elle introduit une personne neutre qui va recueillir les confidences des uns et des autres. «D’une manière générale, l’intervention d’une tierce personne permet de garantir que les gens peuvent s’exprimer, communiquer correctement. 

Ce rôle d’intermédiaire a été historiquement assumé par les inspecteurs du travail, mais ils ont une position délicate puisqu’ils sont employés par l’Etat pour contrôler la bonne application de la loi sur le travail. Ils ont donc tendance à toujours vouloir mettre le doigt sur les dysfonctionnements sans faire ressortir les éléments positifs», note Christine Sattiva. 

Les différentes interprétations de l’article 336 CO par le Tribunal fédéral 

Tout l’enjeu est d’éviter qu’un licenciement ne soit jugé abusif, puisque cela implique le paiement, par l’employeur, d’une indemnité à l’employé congédié. L’article 336 du Code des obligations énumère, de manière cependant non exhaustive, les motifs d’une résiliation abusive. Cette législation, qui date de 1988, est entrée en vigueur en 1990. 

Réticents dans un premier temps, les tribunaux suisses ont mis un certain temps avant d’interpréter cette disposition de manière plutôt favorable aux employés. Mais entre 2005 et 2008, le Tribunal fédéral a rendu plusieurs arrêts qui marquent un changement de cap, non confirmé toutefois par la suite. Ainsi, dans un arrêt de décembre 2005, le TF a condamné un employeur pour avoir renvoyé un cadre monteur-chauffagiste qui était dans sa 45ème année de service et à quatre mois de la retraite, alors même que son travail et son comportement ne donnaient plus satisfaction. Le TF a considéré que l’employeur avait violé son obligation de protection (article 328 al. 1) et avait «violé de façon manifeste le principe voulant qu’il use de son droit (de résiliation, ndlr) avec ménagement en licenciant le demandeur sans aucun entretien préalable, sans la moindre tentative de solution et en le libérant immédiatement de l’obligation de travailler.»* L’employeur a dû verser à son ex employé une indemnité de six mois de salaire, ce qui est le maximum en Suisse en matière de licenciement abusif. 

Cette interprétation jurisprudentielle de l’art. 336 CO montre bien l’importance de construire un dossier cohérent et documenté en amont. «Si l’attitude ou le comportement d’un collaborateur n’est plus conforme aux attentes, il faut le lui dire de manière claire et formelle. Il doit avoir la possibilité de corriger son comportement dans un délai raisonnable. Il en va de même dans une situation de mobbing: la personne qui exerce le mobbing doit être invitée à corriger son comportement, faute de quoi vous risquez de licencier la victime qui, se sentant persécutée, pourrait multiplier les erreurs. 

Un tel licenciement est susceptible de se retourner contre vous. Il faut donc désamorcer toutes les situations conflictuelles avant d’aller vers la résiliation de contrat, tant pour assurer la protection de la personnalité des employés que pour éviter des procès coûteux à l’employeur», assure Christine Sattiva.

 

L’intervenante

Christine Sattiva est avocate, spécialiste FSA en droit du travail et vice-présidente du tribunal des prud’hommes de l’Est vaudois.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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