La communication nonviolente: une posture pour dire les choses sans blesser
Formalisée par Marshall B. Rosenberg dans les années 1970, la communication nonviolente (CNV) est une méthode de communication qui permet de parler des sujets difficiles avec empathie et respect de l'autre. Directeur général de la Fondation Aigues-Vertes à Genève, Laurent Bertrand pratique la CNV depuis plus de 20 ans. Il explique ici ses mécanismes.
Laurent Bertrand, directeur général de la Fondation Aigues Vertes à Genève.
Comment soigner les relations professionnelles tout en acceptant les divergences de point de vue et les tensions? Mise au point durant les années 1970 par le psychologue américain Marshall Bertram Rosenberg, la Communication NonViolente (CNV) est une méthode de communication basée sur l’empathie, l’authenticité et la responsabilité. En Suisse romande, une association de la CNV existe depuis 2006 et le site cnvsuisse.ch recense une vingtaine de formateurs agréés. Directeur général de la Fondation Aigues-Vertes à Genève, Laurent Bertrand est un adepte de la CNV depuis plus de vingt ans. Environ 60% des 300 collaborateurs de l’institution ont déjà suivi une formation en CNV, dont 100% de l’encadrement. Il revient ici sur les fondamentaux de cette méthode.
Une posture plutôt qu’un outil
Laurent Bertrand précise d’emblée que la CNV n’est pas un outil. Il explique: «Si vous le considérez comme un outil, vous allez perdre l’authenticité de la connexion à l’autre. C’est d’avantage une posture, un conditionnement ou un réflexe à entraîner. La CNV permet d’avoir des clés de conscience pour comprendre ce qui se passe chez moi et chez l’autre.»
La puissance de l’empathie
L’empathie est au cœur de la méthode. Laurent Bertrand: «Certains estiment que l’empathie n’a pas sa place en organisation. L’empathie serait trop molle et peace & love. C’est l’inverse qui se passe. L’empathie est un chemin pour s’affirmer avec force dans le respect de chacun. Tout va dépendre de notre intention. Si cette intention est de soigner la qualité relationnelle avec soi et avec l’autre, l’empathie sera une posture très puissante. Nous avons tous une capacité empathique à exprimer un besoin ou un sentiment. Mais il faut pratiquer pour développer cette compétence.»
Observation
La pratique de la CNV se déclinent en quatre étapes: observation, sentiment, besoin et demande. D’abord commencer par observer sans jugement. «Cette première étape est déjà énorme. Nous sommes, par notre conditionnement, spontanément dans le jugement. Et ces observations remplies d’évaluations ou de jugements masquent notre compréhension de la situation. Quelles sont les faits? Voilà la seule question qui compte. Cela passe par une bonne qualité d’écoute.» L’objectif est de collecter des informations brutes sans essayer d’en rechercher les causes, dont l’interprétation est déjà un jugement de valeur. «Cette posture est proche d’une écoute authentique ou empathique, sans jugement de ce qui est réel ou non, de ce qui peut paraître important ou non, mais en considérant avec attention la nature de ce qui est exprimé, sans sélection arbitraire qui proviendrait de notre propre expérience», écrit Laurent Bertrand dans un article sur le sujet (1).
Sentiment
La CNV intègre ensuite les sentiments dans la communication. Là-aussi, certains estiment qu’ils n’ont pas leur place dans le monde du travail. Laurent Bertrand: «En réalité, nous sommes des êtres humains dotés d’émotions et nous ne pouvons pas les laisser au vestiaire en arrivant le matin au bureau. Donner une place à ces sentiments revient à donner plus d’espace à la personne pour qu’elle puisse contribuer à trouver des solutions.» La difficulté avec les sentiments est de parvenir à les nommer avec précision. Ces nuances sont bien plus vastes que «bien» ou «pas bien». Il y a des sentiments agréables (joyeux, léger, heureux, plein d’entrain, etc.) et désagréables (contrarié, triste, fatigué, en colère, frustré, etc.). «Ces sentiments sont des signaux qui vont nous alerter. Quand ils sont agréables c’est que nos besoins sont satisfaits et nourris par la situation. S’ils sont désagréables, cela veut dire que nos besoins ne sont pas nourris.»
Besoins
Derrière nos ressentis agréables ou désagréables, il y a donc des besoins fondamentaux. Laurent Bertrand: «Quand vous comprenez vos besoins, vous pourrez exprimer vos envies réelles. Peut-être avez-vous un besoin d’efficacité, de faire un bon usage de votre temps et de votre énergie. Communiquer ce besoin permettra à l’autre de vous comprendre. C’est un élément central de la CNV.» Il poursuit: «Les besoins sont le patrimoine commun de l’humanité. La CNV en a identifié environ 140. Les besoins sont toujours légitimes et interdépendants avec ceux des autres. Il n’y pas de hiérarchie dans ces besoins. La clé est de trouver un terrain commun pour répondre aux besoins de chacun.»
Demande
Une fois ces besoins identifiés, il va falloir trouver une stratégie commune pour les satisfaire. Laurent Bertrand: «Ce sera une étape délicate. Elle permettra de se mettre en mouvement avec son interlocuteur pour trouver une solution mutuellement profitable. Souvent les désaccords portent sur les stratégies, non sur les besoins. Il faudra adopter une posture de médiation pour trouver cette stratégie commune.» Une demande n’est pas une exigence. Ce n’est pas parce que votre demande est basée sur un besoin légitime que l’autre doit l’accepter. L’art de la CNV consiste à formuler les choses pour que l’autre puisse contribuer librement en respectant ses propres besoins. Laurent Bertrand: «Enfant, nous avons pris l’habitude d’obéir car nous avions peur, honte ou un sentiment de culpabilité. Et nous avons tendance à reproduire ces schémas à l’âge adulte. Mais obtenir quelque chose en menaçant l’autre est de la manipulation. Au contraire, il faut permettre à l’autre de trouver du sens et de la joie dans sa contribution au projet. L’autre doit sentir que ses besoins ont été identifiés et sont également respectés.»
Répondre «non»: un signal fort
Quand quelqu’un refuse de collaborer ou répond «non», il est en réalité en train de respecter un besoin fondamental chez lui. «Il n’a simplement pas trouvé d’autres moyens de l’exprimer que par la négation, voire la colère. Il faut donc s’intéresser à ce qu’une personne exprime réellement quand elle vous dit «non». Elle essaie sans doute de vous communiquer un besoin fondamental chez elle.»
Non jugement
La Communication NonViolente est dans le non jugement. «Ce n’est pas une affaire de bien ou de mal. Il n’y a pas de bon ou de mauvais sentiments. Tout jugement est l’expression tragique d’un besoin. Il s’agit de développer cette conscience. C’est en ce sens que la CNV est empathique. Elle nous met en lien fort avec notre interlocuteur. Cette empathie va modifier notre prise de décision. Car les besoins des deux parties sont légitimes et il s’agit de trouver un consensus pour entrer dans la collaboration. Selon une étude Gallup, les qualités les plus appréciées chez un manager sont la compassion, la stabilité, l’espoir, l’intégrité et le respect. La CNV est un chemin pour exprimer ces qualités et donc un levier puissant pour booster la productivité.
Se relier, penser et agir
Le partage des émotions et l’empathie ne suffisent pas pour stimuler cette productivité. Il faut passer à l’action. «Si votre intention est de créer du lien pour être dans le respect mutuel et la collaboration, l’action efficace suivra. Marshall B. Rosenberg appelle ça le «pouvoir avec les gens» et non le «pouvoir sur les gens». Quand vous maîtrisez la CNV, vos équipes vont entrer dans l’action non par peur, culpabilité ou honte mais avec du sens et dans la joie. Et comme dirait Marie Miyashiro dans son beau livre Les enjeux de l’empathie au service de l’entreprise, «lorsque l’empathie et le lien précèdent la pensée et l’action, il en découle des résultats remarquables»».
(1) Laurent Bertrand et Renaud Petit: «L’écoute et la médiation comme levier de transformation d’un état conflictuel à un état coopératif» in Traité du Management Socio-économique, 2021, Editions Management et Société, p. 746