La contribution RH dans l'organisation

La contribution RH au succès de l’entreprise: peut-on tout mesurer?

Venus du secteur financier, les tableaux de bord RH sont devenus des outils de pilotage et des aides à la décision incontournables. Mais mesurer la contribution d’un département RH au succès d’une entreprise reste une opération très délicate et parfois même controversée. Faut-il alors tout mesurer de manière chiffrée? Les spécialistes opposent leurs avis.

Maîtriser les risques. La formule circule dans les conseils d’administration et les gouvernements locaux et internationaux. Responsables de la survie économique des organisations qu’ils président, ces cénacles doivent rendre des comptes à leurs actionnaires et à leurs électeurs. Pour sauver leur siège, ils demandent aux dirigeants de maîtriser les risques. C’est peut-être par là qu’il faut commencer.

Les tableaux de bord – qu’ils soient RH ou financiers – sont avant tout des outils pour réduire à la portion congrue la part d’incertitude de la vie en entreprise, qu’elle soit privée ou publique. Avoir un œil sur tout et en tout temps. Prévoir les hausses de coûts de production, les conflits sociaux ou les pénuries de personnel. Mais les tableaux de bord RH sont également devenus des précieux outils de pilotage.

Car bien conçus, avec un tri et une synthèse intelligente de la masse
d’informations produites tous les jours dans une organisation, ils facilitent grandement la prise de décision opérationnelle. Mais comment établir un tableau de bord RH dans les règles de l’art? Et la contribution RH à une organisation est-elle toujours quantifiable? Notre enquête.

«La crise n’a fait que renforcer la culture du tout quantifiable»

Les premiers tableaux de bord RH voient le jour dans les années 1970 pour répondre à des impératifs de contrôle, liés au fort développement de la taille des organisations. Avec des unités d’affaires de plus de 1000 collaborateurs, impossible de garder un œil sur tout. La tendance des indicateurs vient de la finance.

«Transposés aux ressources humaines, ils répondent à un rôle purement administratif qui leur était dévolu à cette époque et permettent de mesurer la structure sociale d’une organisation: la variation des effectifs (turnover), la distribution des coûts, la productivité, l’absentéisme et le climat social», note Frédéric Sudan, DRH chez EMC2 Computer Systems AG à Zurich et responsable de plusieurs modules de formation sur les tableaux de bord RH pour le CRQP.

Au fil des ans, on affine les méthodes de mesure et on voit apparaître des indicateurs de performance des processus RH, correspondant au nouveau rôle de soutien de la fonction RH: coût moyen d’un recrutement, durée moyenne pour mettre en place une formatio interne, évolution des rémunérations, évolution du pool de talents.

Frédéric Sudan: «Aujourd’hui, dans les entreprises où le DRH est vu comme un partenaire stragtégique, on lui demande de prouver leur création de valeur en calculant le ROI des plans de formation, le coût de l’absentéisme et le taux d’engagement des collaborateurs». Mais la contribution humaine au fonctionnement d’une organisation peut-elle toujours être mesurée avec des chiffres? La  question est controversée depuis longtemps.

Auteur de plusieurs ouvrages sur la GRH et vice-président RH du groupe Edwards Lifesciences (technologie cardiovasculaire), Serge Panczuk est très critique avec cette tendance: «Les organisations vivent aujourd’hui dans une culture du tout quantifiable. Et la crise n’a fait que renforcer cette tendance. Aujourd’hui, il faut prouver la valeur ajoutée de chaque prestation RH de manière chiffrée».

Si certaines tâches liées à l’administration du personnel doivent être mesurées avec des indicateurs précis et formalisés, permettant de ce fait d’optimiser ces processus, il ne faut cependant pas tomber dans le piège du tout quantifiable qui cantonne la fonction RH dans un rôle de production, prévient-il. «Ceux qui défendent une vision économétrique de la fonction RH regardent l’organisation en surface et trouvent des réponses de surface. Je ne suis pas contre des indicateurs dynamiques et ‹intelligents›, il faut juste éviter que ces derniers s’apparentent à ceux qui permettaient de dire que le Titanic ne pouvait pas couler…».

Refuser la mesure chiffrée cache souvent des positions idéologiques

Pour Frédéric Sudan, ces mesures demeurent pourtant un mal nécessaire: «Aujourd’hui, on ne peut qu’améliorer ce que l’on peut mesurer. En revanche, le résultat d’un indicateur à un instant (photo) n’est pas suffisant, il est indispensable de prendre en compte son évolution (film) pour juger de sa pertinence. Grâce aux systèmes de gestion de données actuels, nous pouvons augmenter la fréquence et mettre à jour les indicateurs de façon jour- nalière ou hebdomadaire».

Grand spécialiste des méthodes de mesure de la contribution RH au succès d’une entreprise, le professeur Henri Savall, créateur de la méthode de gestion ISEOR, se positionne clairement dans ce débat en faveur du tout quantifiable. Et quand on lui suggère que les RH font fausse route en voulant tout mesurer, il bondit: «Mais à qui profite le crime?

Refuser de mesurer une contribution RH cache très souvent des positions idéologiques, comme celle qui assure que l’efficience humaine ne peut pas être éclairée par un faisceau de chiffres. Nous intervenons depuis 35 ans dans plus de 1200 entreprises dans 35 pays. C’est partout le même débat. Mais pourquoi donc préférer l’obscurantisme à une petite objectivation? C’est un mystère pour moi. Car je peux vous l’assurer, la rentabilité d’une fonction RH a été démontrée. Sur un échantillon de 40 entreprises, 60 pour cent des cas ont réalisé un retour sur investissement incorporel en RH de 1000 à 4000 pour cent! Pour un euro investi vous gagnez entre 10 et 40 euros.»

L’autre grande critique avancée pour mettre en doute les tableaux de bord RH classiques est la question de l’horizon temps. Selon Serge Panczuk, l’entreprise évolue dans un cadre temporel précis: le trimestre et l’année. Et elle «remet à zéro les compteurs» tous les ans. Le problème est donc double: certains programmes RH ne peuvent démontrer leur valeur ajoutée en un trimestre ou un an. Et le «reset» annuel contribue à faire oublier les mesures qui nécessitent une vison à plus long terme.

Là aussi, les avis sont tranchés. Pour Frédéric Sudan, le travers principal des méthodes actuelles, c’est qu’il donne une photographie du passé. Alors qu’un bon indicateur doit permettre de prévoir l’avenir. Pour Henri Savall, l’argument temporel est tout simplement une imposture. «Lorsqu’on s’occupe de l’humain, les résultats apparaissent autant sur le court terme (actions sur la communication), que sur le moyen terme (remodelages des actions de formations) que sur le long terme (nouvelles organisations du travail).»

Mais alors quel est le bon modèle? Pour Serge Panczuk, «il faut d’abord reconnaître que la valeur RH dépasse un bilan comptable. Un tableau de bord  doit inciter à la réflexion tant au niveau des HR que des autres fonctions. Il est donc aussi un outil pédagogique qui doit avoir plusieurs niveaux: des mesures précises pour des processus clairs (durée du process de recrutement), des indicateurs de tendance mesurés sur plusieurs années (mesure de l’engagement) et des feedbacks qualitatifs des principaux stakeholders (y compris le Board). Mais cela implique une certaine maturité de l’organisation.»

Enfin, selon le professeur de management et neurochirurgien français Patrick Georges, qui a beaucoup travaillé sur les tableaux de bord RH: «Tout est loin d’être mesurable et le cockpit ne remplacera jamais le pilote. Ce ne sont que des aides à la décision. La bonne nouvelle est que l’informatique moderne dans la plupart des entreprises suisses permet d’obtenir les données de ces indicateurs sans trop de travail».

Les intervenants 

Le professeur et neurochirugien PatrickGeorges enseigne le management dans diverses Universités et Hautes Ecoles en Europe, donc HEC Paris. Lien: www.patrick-georges.net

Les intervenants 

Le professeur HenriSavall est le créateur de la marque ISEOR, une méthode de management socio-économique. Il est basé à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Lien: www.iseor.com 

Les intervenants 

SergePanczuk est vice-président des ressources humaines pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique chez Edwards Lifesciences (technologie cardiovasculaire). 

 

Les intervenants 

FrédéricSudan est DRH pour la Suisse chez EMC2 Computer Systems AG à Zurich. Il intervient également au CRQP.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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