Dossier Psy4Work

La place de la personnalité dans le monde du travail

Septième chapitre du dossier sur l'utilité des psychologues du travail et des organisations pour les RH.

Depuis toujours, l’être humain cherche à comprendre le comportement de ses congénères. L’un des premiers à l’avoir formalisé est Hippocrate (460-377 av. J.-C.) avec sa célèbre classification des tempéraments (lymphatique, nerveux, bilieux et sanguin), qu’il reliait aux quatre éléments de la nature (eau-terre-feu-air) et qui étaient associés à des aspects physiques, psychiques, comportementaux, de même qu’à des maladies prédominantes et des préceptes de vie.

Bien des années plus tard, la psychologie s’est développée en tant que discipline scientifique (à la fin du XIXe siècle), mais l’étude de la personnalité des individus est toujours restée une thématique centrale. Étudier et évaluer la personnalité est donc l’apanage des psys, et trouve sa place dans la sphère clinique et thérapeutique. Mais pourquoi donc est-elle sortie des cabinets pour s’immiscer dans le monde de l’entreprise?

L’intérêt pour la personnalité dans le monde professionnel

Eh bien tout simplement, parce que les travailleur-euse-s sont des êtres humains comme les autres et qu’ils/elles sont pourvu-e-s d’une personnalité. L’intérêt de prendre en compte la personnalité – en plus de l’expérience, des compétences et de la motivation –  est multiple, que ce soit pour le recrutement, le développement individuel et/ou la dynamique d’équipe. Premièrement, il s'agit de s’assurer que la personne convienne bien à ce qui est recherché, c’est-à-dire qu’il/elle a les qualités personnelles adéquates pour occuper le poste visé (pour un poste de comptable, on appréciera un sens du détail aiguisé, alors qu’une propension à générer de nouvelles idées sera utile à un-e designer – l’inverse serait plus folklorique!).

Deuxièmement, cela peut servir à vérifier que la personne corresponde bien à l’environnement – tant contextuel (lié à la manière dont est organisé le travail) que relationnel (dynamique d’équipe) – du poste et/ou de l’entreprise: les prises d’initiatives sont-elles bienvenues ou le respect des procédures y est-il primordial?

Enfin, troisièmement, s’intéresser à la personnalité permet aussi de déceler le potentiel et les axes de progression des individus – ce qui peut constituer de précieuses informations dès lors qu’on se positionne dans une perspective de carrière ou de développement des compétences. On comprend bien ici que contrairement à la pratique clinique, le psychologue du travail ne cherche nullement à déceler des troubles de la personnalité, mais à révéler le potentiel et permettre à chacun de trouver sa place, tant d’un point de vue relationnel qu’environnemental.

Mais pourquoi donc des psychologues?

Il existe pléthore de tests et de méthodes sur le marché pour analyser la personnalité. D’ailleurs, on pourrait même s’en passer, et simplement discuter avec la personne, lui demander ses qualités et défauts, et «sentir» qu’il ou elle est extraverti-e, patient-e, méticuleux-euse et/ou motivé-e par l’action. Aussi, est-il vraiment nécessaire de faire appel à un-e professionnel-le? Oui si l’on souhaite être dans un processus qualitatif.

Et ce pour deux raisons. D’abord, pour s’assurer que la méthode et/ou le test soient validés scientifiquement (tous ne le sont pas). Les psychologues sont formé-e-s aux méthodologies statistiques permettant de comprendre, d’analyser et de décrypter les variables chiffrées afin de vérifier la validité des outils. Ensuite, le résultat du test en soi donne certes des informations, mais n’est pas suffisant du tout. D’ailleurs, il ne serait pas éthique de faire passer un questionnaire à un-e candidat-e et de le/la recaler (ou même de l’engager!) sur le simple résultat brut, sans autre échange. Car c’est vraiment au moment de la restitution qu’il/elle pourra se reconnaitre (ou non!), verbaliser, raconter comment il/elle incarne les différentes facettes de sa personnalité.

L’étape de l’entretien – communément nommé restitution ou débriefing du test – est donc incontournable. C’est dans cet échange que le profil prendra tout son relief, sera vivant et qu’il acquerra sa légitimité. Pour ce faire, l’habileté de l’analyse du/de la psychologue, sa finesse de questionnement (sans induire) et sa qualité d’écoute (sans jugement) tout autant que sa capacité à mettre en perspective les propos de la personne évaluée seront déterminants pour la compréhension globale du profil. L’échange permettra d’ailleurs tout autant au/à la professionnel-le qu’à la personne évaluée d’explorer ses qualités et atouts de manière détaillée, avec peut-être même en prime l’opportunité de se connaître encore mieux.

Et au fait, qu’entend-on par personnalité?

La personnalité est «un ensemble relativement cohérent, systématique et stable de tendances à générer des ensembles structurés de pensées, d’affects et d’actions qui en font une personne unique». Alors qu’ils se développent durant l’enfance, les traits de la personnalité se stabilisent vers 17 ans, et la recherche fait état d’une tendance à la stabilité de la personnalité durant la vie adulte – ce qui permet de l’évaluer à tout moment durant la carrière professionnelle !

Il ne faut cependant pas confondre cette stabilité avec un enfermement dans des cases et des étiquettes stéréotypées collées sur les individus. Nous parlerons volontiers de tendances, de préférences, de plein potentiel, voire d’énergies avec leur lot de puissance positive ou négative. De la même manière, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise personnalité, ni de juste ou faux, mais des synergies et des adéquations qui se présentent ou non. La notion même d’évaluation, très souvent associée à l’exercice, pourrait être remise en question. Nous lui préférons l’expression «mise en lumière», qui correspond davantage au processus : on éclaire et on détaille les traits de la personnalité, plutôt que de les mesurer.

Ce qu’il faut retenir

«L’essence de la personnalité n’est pas un simple ton ou une simple ligne mélodique, mais la totalité de la composition musicale», disait Gardner Murphy.

Sujet souvent polémique, la question de la prise en compte de la personnalité dans les processus de sélection ou de développement de carrière fait débat. Notre expérience sur le terrain nous amène cependant à considérer qu’elle reste un élément fondamental qu’il faut considérer pour appréhender toutes les facettes de l’être humain dans son milieu professionnel, tout en s’assurant de la démarche qualitative et professionnelle sous-jacente.

En ce sens, nous nous plaisons à relever la conclusion d’une méta-analyse sur des recherches en psychologie de la personnalité, réalisée par des chercheurs de l’université de Gant: «en psychologie du travail et des organisations, dans les processus d’évaluation des personnes, la personnalité offre une contribution unique et indispensable, et il n’existe pas de construit ou de méthode d’évaluation alternative (…) qui fournisse de meilleurs résultats dans la prédiction de l’efficience au travail».

Quelques contributeurs-clés

Dans les années 1920, le grand psychologue suisse Carl Gustav Jung a décliné les types psychologiques pour caractériser le fonctionnement des humains, selon l’orientation de l’énergie, les fonctions psychologiques (perception et prise de décision) et l’activité de l’esprit. Sur la base des travaux de Jung, les psychologues Isabel Briggs Myers et Katherine Cook Briggs ont développé le test MBTI (Myers Briggs Type indicator) en 1962.

Contemporain à Jung, le psychologue américain William Marston – inventeur du détecteur de mensonges et aussi créateur de Wonder Woman! – a développé à la même époque la théorie du DISC, qui recense les préférences comportementales en fonction de la perception que l’on a de soi et de son environnement (DISC = acronyme des quatre profils de personnalité théorisés par Marston: Dominance, Influence, Stabilité, Conformité). Tant Jung que Marston ont intégré dans leurs modèles respectifs l’importance de la perception dans la manière de se comporter.

Enfin, en 1992, les chercheurs Costa et Mc Crae ont développé le modèle du Big Five pour décrire la personnalité selon cinq facteurs (ouverture, conscience morale, extraversion, agréabilité et névrosisme).

Références:
BERNAUD, J.-L. (2008). Les méthodes d’évaluation de la personnalité. Dunod.
HOGAN, R. T. DE FRUYT, F. ROLLAND, J.-P. (2006). Validité et intérêt des méthodes d’évaluation de la personnalité à des fins de sélection : une perspective de psychologie appliquée aux problématiques des entreprises. Psychologie française 51, 245-264.
ROCHAT, S. (2019). L’art du conseil en orientation. Lucnia.
ROLLAND, J.-P. (2019). L’évaluation de la personnalité. Mardaga.

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Anna-Katharina Mörike

Anna-Katharina Mörike est psychologue FSP, spécialiste RH et psychologie du travail. Elle accompagne les personnes se questionnant sur leur avenir professionnel (bilan de compétences, insertion professionnelle) et/ou en souffrance au travail (burn-out, mobbing, recherche d’équilibre). Elle intervient aussi auprès d’entreprises pour les soutenir dans leur processus de sélection. Elle préside depuis 2021 PSY4WORK.CH, l’association suisse des psychologues du travail et des organisations.

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