Voilà 20 ans déjà que le mur de Berlin est tombé. Et pourtant, il est encore dressé dans nos mémoires, dans nos intelligences et dans notre imaginaire… Bien sûr ces considérations géopolitiques semblent déplacées dans une revue RH. Hors sujet (HS), diraient les instituteurs. Mais plus on y réfléchi, plus le mur apparaît présent là où vous l’attendiez le moins, c’est-à-dire dans vos entreprises. Petite visite guidée sous la forme d’un billet d’humeur.
Où il est question de Berlin et de son mur…
Quels souvenirs conserver de la chute du mur de Berlin? Osons une réponse symbolique et entortillée: j’y vois comme une formidable libération d’énergie vitale – une joie féconde dirait le philosophe Alexandre Jollien – qui surgit au moment même où la douleur concentrationnaire s’évanouit. Une sorte de renaissance de soi. La sensation d’un passage vertigineux entre «un avant miséreux» et un «après porteur d’espoir».
Où il est question de nos organisations et de leurs murs…
Pourquoi - au sein de nos organisations – cette énergie vitale semble si difficile à mobiliser? Pourquoi n’arrive-t-on pas à réveiller la force créatrice qui bien souvent sommeille dans les individus, malgré les sommes extravagantes investies dans des programmes de coaching concentré? Réponse politiquement incorrecte: parce que tout est mis en œuvre pour expulser les rêves, la créativité et la pensée hors cadre au nom de l’intérêt suprême de l’efficacité, du processus et de la performance. La subjectivité des acteurs, leurs émotions sont donc cadrées par des contrôles, des structures hiérarchiques, des objectifs, des formations souvent anesthésiantes, des politiques d’engagement ciblées afin de mobiliser les énergies et les intelligences vers un but commun. Des murs invisibles empêcheraient donc l’expression de la substantifique mœlle de chaque acteur, prisonniers qu’ils sont d’un système dont ils font partie.
Où il est question de «défaire le mur»…
Est-il possible de «défaire le mur», c’est-à-dire d’organiser le travail en libérant le souffle créatif des collaborateurs (appelé autrefois l’empowerment ou l’intraprenariat)? Certainement, et ce doit être le rêve éveillé de bon nombre de Directions générales, bien que cette tâche ne soit pas aisée. Un principe doit être rappelé: rien ne sert de motiver caricaturalement, car la grande majorité des collaborateurs le sont généralement par le sens même de leur travail; il reste dès lors beaucoup plus pertinent d’examiner sans complaisance ce qui démotive les collaborateurs et bloque leur transfert de pouvoir: «l’organidrame» et les petits chefs, le règne des procédures, les blocages administratifs, le découpage taylorien du travail, le management déficient qui démotive et qui participe à créer une résignation collective galopante, etc... C’est que la perestroïka organisationnelle a un coût: celui d’affronter les problématiques qui, habituellement, sont occultées… Mais ne pas «défaire le mur» risque de stimuler bon nombre de collaborateurs à «faire le mur», c’est-à-dire à quitter l’organisation.
Où il est question de cesser de construire des murs…
Identifier les murs qui hantent nos organisations et les miner est une première tâche. Cesser d’en construire de nouveaux en est une seconde. Prenons un exemple de circonstance: les évaluations annuelles lancées généralement en fin d’année. Chacun est d’accord: ne pas organiser un cadre institutionnel destiné à partager formellement un espace de dialogue est une erreur. Mais dans la pratique, le 80 pour cent des entretiens se révèlent une catastrophe pour des raisons identifiées depuis 30 ans: absence de préparation des évalués et des évaluateurs, faiblesse des softs skills, difficulté à gérer les entretiens difficiles, manque de temps. C’est ainsi que l’idéologie managériale moderne préfère une catastrophe à une erreur, ce qui est infiniment discutable.
L’évaluation – qui devrait être l’outil privilégié de la libération des énergies et des compétences – devient alors un mur berlinesque d’un type un peu particulier… que l’on pourrait rapprocher du mur des lamentations.