Dossier Psy4Work

L’importance des compétences transversales sur le marché du travail

Sixième chapitre du dossier sur l'utilité des psychologues du travail et des organisations pour les RH.

Un des rôles des psychologues du travail et des organisations est d’accompagner les entreprises et les personnes dans l’évaluation et le développement des compétences transversales. Voici un aperçu de cette pratique et de sa valeur ajoutée.

Les enjeux

Dans notre monde en constante évolution, les compétences transversales et transférables d’un domaine à l’autre sont d’une importance croissante : les savoirs techniques deviennent rapidement obsolètes et ne permettent plus, à eux seuls, de se (re)positionner sur le marché de l’emploi.

Les compétences transversales, et particulièrement les compétences sociales, sont de plus en plus recherchées et valorisées par les entreprises. Par ailleurs, elles semblent corréler positivement avec le fait d’avoir une situation professionnelle stable et un salaire confortable.

Enfin, les parcours de vie et de carrière étant de moins en moins linéaires, les compétences transversales permettent également d’ouvrir les perspectives sur les champs d’activité que l’on peut viser, et ainsi de sortir d’une logique de valorisation du diplôme ou de l’expérience préalable comme seuls facteurs de prédiction du succès professionnel.

Le rôle des psychologues du travail et des organisations

Dans ma pratique, une grande partie de mon rôle consiste à accompagner les entreprises et des particuliers dans l’évaluation et dans le développement des compétences transversales. Les objectifs et la posture adoptée lors de ces démarches diffèrent, mais le focus reste le même: celui des compétences transférables, qui ne sont pas purement liées à un champ d’activité technique spécifique.

• Dans le cas de l’évaluation de compétences, il s’agit surtout de soutenir les entreprises dans le cadre d’un processus de recrutement, et plus précisément sur la décision d’embauche d’une personne par rapport aux exigences d’un poste en termes de compétences transversales.
• Dans le cas du développement de compétences, l’objectif est principalement d’accompagner le développement des personnes au sein de l’entreprise. Cette démarche favorise la prise de conscience du fonctionnement propre de la personne, puis d’identifier des pistes pour lui permettre de continuer son évolution professionnelle et personnelle, et ce en associant sa hiérarchie.
• Enfin, les démarches autour des compétences transversales permettent de favoriser l’employabilité de personnes qui sont en recherche d’un emploi porteur de sens ou, de manière générale, en questionnement sur leur situation professionnelle.

Qu’entend-on par «compétence»?

En prenant comme référence la définition de Guy Le Boterf, la compétence est la mobilisation ou l'activation de plusieurs savoirs, savoir-faire et savoir-être, permettant d’agir dans un contexte donné. La compétence est donc un processus ou une action que l’on met en œuvre pratiquement. Elle ne représente ainsi ni un concept abstrait ni un bagage théorique seul. Plusieurs éléments, dont la théorie, les ressources personnelles, les valeurs et la pratique sur le terrain, peuvent faciliter le «savoir agir», et donc la compétence, en permettant de s’appuyer sur des éléments pour la mobiliser. Dans cet article, les compétences transversales dont il est question comprennent par exemple l’orientation client, les aptitudes interpersonnelles, la capacité d’analyse ou encore la collaboration en équipe, qui sont indispensables pour un grand nombre de métiers.

Évaluation des compétences transversales: assessment de sélection

Les compétences transversales prédisent en grande partie le succès dans une fonction. Ainsi, les entreprises démontrent un intérêt croissant à faire appel aux services de psychologues du travail et des organisations spécialisés pour évaluer finement les compétences transversales d’une ou de plusieurs personnes finalistes pour un poste donné, et ce à tous les niveaux de l’entreprise. L’évaluation de compétences, qui était traditionnellement réservée au top management, se démocratise et s’étend à toutes les strates de la hiérarchie. Ceci est à mon sens très bénéfique, notamment pour favoriser l’instauration une culture du feedback au sein de l’organisation et une réflexion sur les besoins des personnes par rapport à leur poste, ce qui implique parfois de repenser l’organisation du travail de manière plus globale.

Cette démarche, qui est aussi appelée assessment de sélection, répond à un certain nombre d’étapes et de critères méthodologiques. Tout d’abord, le psychologue du travail va s’immerger dans la réalité de l’entreprise et du poste afin d’en comprendre les enjeux. Cette étape est déterminante pour pouvoir affiner les observations qui seront récoltées durant l’assessment, et ainsi être au plus juste dans l’évaluation de compétences par rapport aux besoins de l’entreprise. C’est le moment où l’on tente de comprendre les facteurs de risque et de succès dans le poste, notamment en analysant le contexte:

• Quel est l’historique du poste et de l’entreprise?
• S’agit-il d’un nouveau poste, d’un départ à la retraite, d’un licenciement?
• Qu’est-ce qui a pu poser problème par le passé dans cette fonction?
• Quelle est la situation et quels sont les besoins de l’équipe actuellement?
• Quelles seraient les qualités de la personne idéale?
• Quel type de management est attendu? etc.

Il est crucial de cerner spécifiquement ce qui est souhaité dans le contexte de l’entreprise en termes de comportements, car les attentes dans ce domaine peuvent varier selon le corps de métier, le domaine ou l’entreprise.

En fonction de cette étape exploratoire, il s’agira d’aiguiller le choix des compétences à évaluer. Cette sélection se fait de concert avec l’entreprise et permet encore d’affiner les attentes de celle-ci en termes d’informations sur chacune des notions mesurées. Par exemple, si l’on choisit d’évaluer la compétence transversale d’orientation client, on va encore questionner ce que cela veut dire concrètement dans ce poste, notamment en lien avec la culture d’entreprise, et a contrario, ce qui serait à l’inverse du comportement attendu.

Il est fondamental de choisir des compétences précises, qui aient été au préalable définies et déclinées en comportements observables, afin d’assurer la qualité et l’objectivité de l’évaluation. En rattachant les compétences à des actions concrètes, on peut constater de manière objective, sur la base des observations durant l’assessment, à quel point la compétence est présente et prête à être mobilisée en situation.

Pour l’anecdote, les entreprises sont souvent tentées de vouloir évaluer tel aspect pour une personne, tel aspect pour une autre, en fonction de l’impression que celles-ci ont laissée en entretien. Toutefois, il est important de lier le choix des compétences au poste et non aux individus pour que la démarche soit qualitative. De plus, le caractère identique des conditions d’évaluation est particulièrement important pour garantir des résultats comparables entre les individus évalués et il ne serait ainsi pas adéquat de conditionner le choix des compétences aux personnes.

En fonction des attentes du poste et des compétences préalablement sélectionnées, on choisit ensuite les outils pour l’assessment, qui seront donc les mêmes pour chaque personne évaluée. L’utilisation de différents outils permet de mettre un coup de projecteur distinct et complémentaire sur les compétences, et ainsi d’assurer un maximum d’objectivité dans l’analyse. 

La plupart du temps, on croisera au moins trois types d’outils : le premier permettant une observation directe des compétences, par exemple au travers d’une mise en situation, le deuxième permettant une observation indirecte des compétences, par exemple au travers d’un entretien semi-structuré, et troisièmement, un outil autoévaluatif tel qu’un questionnaire psychométrique ou tout autre élément permettant un regard autoperceptif de la part des personnes évaluées.

Le premier outil est emblématique de l’assessment, il s'agit de la mise en situation des personnes hors de leur champ d'expertise technique, ce qui les pousse à mobiliser leurs compétences transversales.

Le mystère plane bien souvent sur ce qu’est un assessment et sur la manière dont celui-ci permet d’accéder aux compétences des personnes évaluées. Sans entrer dans le détail, la finesse des observations durant l’assessment est directement liée à la qualité des outils, ainsi qu’à l’aboutissement du modèle de compétences.

Après l’assessment, qui dure la plupart du temps entre une demi-journée et une journée, vient la phase d’analyse, qui permet d’aboutir à un rapport écrit. Celui-ci sera présenté par le psychologue du travail et des organisations en charge lors d’une séance de restitution auprès de l’entreprise, généralement sans personnes évaluées, qui auront reçu au préalable un feedback complet.

Le rapport d’assessment constitue un outil précieux pour les deux parties. En effet, les conclusions sur les compétences permettent de comparer directement les forces et points de développement des personnes sur chaque compétence évaluée, et facilitent ainsi la prise de décisions sur cette base. Le rapport d’assessment permet également de mieux comprendre la personne sélectionnée pour un poste donné. On considère en effet que l’assessment favorise l’intégration au sein d’une entreprise, car il fournit des éléments de connaissance des besoins de la nouvelle recrue, ce qui permet un meilleur ajustement de la prise de fonction afin que tout se passe bien.

Qu’elle soit retenue ou non, la personne qui a passé l’assessment aura bénéficié d’un feedback direct sur ses compétences avec un regard neutre. Cela peut l’aider à prendre conscience de ses propres forces, sur lesquelles on tend assez peu à se focaliser, mais aussi sur ses propres points d’amélioration, qui peuvent lui servir à avancer dans son développement tant professionnel que personnel. De plus, il s’agit souvent d’une opportunité d’instaurer un dialogue propice à la collaboration au sein de son entreprise, notamment avec sa hiérarchie.

En fin de compte, l’objectif des psychologues du travail et des organisations dans le cadre de l’assessment de sélection est de chercher à comprendre le fonctionnement des personnes évaluées. Plus précisément, on aura accès à ses compétences transversales au travers des exercices, ce qui permettra ensuite de les analyser afin d’être en mesure de fournir un feedback sincère et transparent auprès de toutes les parties prenantes, dans un souci d’objectivité et dans un esprit constructif. La restitution des résultats se fait dans un premier temps aux personnes évaluées sur leur propre profil de compétences transversales, dans une logique de feedback direct et d’expérience positive. Dans un deuxième temps, on explicite l’évaluation à l’entreprise mandante, dans le but de faciliter son choix de recrutement en tenant compte des forces et des risques de chaque personne. Ces informations se révèlent souvent précieuses d’un côté comme de l’autre pour garantir l’adéquation du profil aux exigences du poste.

Assessment de développement des compétences transversales

Les entreprises se retrouvent souvent face à un dilemme: comment savoir si une personne est prête pour la prochaine étape au sein de l’entreprise (qui bien souvent équivaut à prendre des responsabilités managériales)? Est-elle suffisamment mûre pour une promotion? A-t-elle suffisamment de recul sur ce qu’impliquent le rôle et la posture de manager? Ou alors: comment fidéliser les personnes qui souhaitent avancer dans leur carrière, sans qu’il y ait forcément de poste correspondant à leurs souhaits dans l’immédiat? Comment favoriser la réflexion sur soi, ses besoins, envies et compétences en vue d’une évolution lorsqu’une opportunité se présentera en interne?

La démarche d’assessment de développement permet d’accompagner ces questionnements et de soutenir l’évolution du personnel en interne. Les étapes et la méthodologie sont sensiblement les mêmes que pour l’assessment de sélection, mais la posture du psychologue du travail diffère sensiblement. Dans cette démarche, on rend un feedback à chaud à la suite de chacun des exercices, contrairement à l’assessment de sélection. On utilise ainsi le débriefing comme outil de prise de conscience: par l’échange direct et le retour sur les compétences mobilisées et les comportements démontrés, la personne prend conscience de ses forces et de ses axes de développement. Toute la démarche est orientée sur le développement d’une réflexivité sur soi, sur le rôle et la posture managériale, sur ses propres valeurs et besoins à respecter, ainsi que sur les axes d’amélioration possible en vue d’une prochaine prise de fonction.

L’étape de restitution diffère aussi passablement dans le cas de l’assessment de développement, car c’est ici la personne directement concernée qui va présenter ses résultats à sa hiérarchie et aux Ressources humaines, en présence du psychologue du travail et des organisations qui l’a accompagné durant la démarche. Cette façon de procéder permet de rendre les personnes véritablement actrices de leur développement. En exprimant leurs profits dans la démarche, elles instaurent également le dialogue avec leur hiérarchie pour des pistes concrètes d’avancement de carrière. Un accompagnement est souvent mis en place suite à cette démarche en vue d’une prochaine prise de fonction et les conclusions sont un point de départ précieux pour entamer un travail sur les compétences transversales.

Favoriser l’employabilité par les compétences transversales : le bilan de compétences

Le Covid a largement renforcé le questionnement sur les parcours professionnels et plus généralement sur la recherche de sens, de satisfaction et de plaisir au travail chez tout un chacun. En tant que psychologue du travail et des organisations, j’accompagne également des particuliers qui souhaitent explorer d’autres pistes professionnelles au travers d’un bilan de compétences. Cette pratique se développe largement aussi au niveau des entreprises, qui souhaitent souvent accompagner leur personnel à la remobilisation professionnelle ou à l’identification de projets possibles au sein de l’organisation.

La motivation pour cette démarche est généralement une insatisfaction professionnelle, qui peut venir de plusieurs facteurs liés notamment aux phases de vie. Par exemple, un anniversaire rond qui fait prendre conscience du temps qui passe et d’une insatisfaction qui stagne, le départ des enfants du foyer familial qui libère du temps et de l’énergie, ou l’anticipation d’un projet de retraite sont parfois des éléments déclencheurs de cette réflexion. Ceci étant dit, il n’y a pas de profil type: on reçoit des personnes de tout âge, de tout parcours professionnel et de vie en bilan de compétence.

Dans cette démarche, les personnes viennent sur leur initiative et sont prêtes à prendre le temps de fournir un travail. C’est une chance et une opportunité réjouissante de pouvoir accompagner ce parcours exploratoire, de creuser véritablement sur les valeurs, les besoins et les envies qui leur sont propres, dans le but de définir des projets professionnels potentiels, qui seront ensuite à affiner et à mettre à l’épreuve de la réalité. Je précise qu’il n’est pas question ici de l’accompagnement suite à un licenciement, appelé outplacement, où l’on doit agir davantage dans l’urgence et prioriser la recherche d’une situation professionnelle sans forcément aller dans un questionnement profond, ou en tout cas pas dans un premier temps.

Entre collègues, nous comparons souvent le bilan de compétences à un tableau impressionniste : un méli-mélo de couleurs difficilement compréhensible quand on est en plein dedans, mais qui révèle de belles formes cohérentes une fois qu’on prend un peu de distance. Cette métaphore illustre qu’il est indispensable de se perdre un peu dans l’exploration tant les sujets traités sont nombreux et s’entrecoupent. Les motivations et le réalisme d’un projet de carrière se mêlant à la situation personnelle, il est presque indispensable d’aborder des éléments qui touchent au privé.

Pour autant, la clé d’un bilan de compétences est l’accompagnement du psychologue du travail et des organisations en charge, qui va agir comme garant du cadre et ainsi permettre le déroulement du processus de bilan de façon structurée, en suivant une méthodologie, bien que les personnes puissent peiner à le voir pendant l’accompagnement. Ainsi, il faut généralement attendre la fin pour que les formes concrètes du projet professionnel se dessinent clairement et accepter de se perdre dans l’exploration en faisant confiance au processus et à la méthodologie d’accompagnement.

Tout au long de la démarche, la personne peut prendre conscience des expériences marquantes de son parcours, ainsi que de ses acquis et de ses ressources. Les facteurs de personnalité sont également importants et permettent de guider l’exploration de pistes professionnelles en tenant compte de son fonctionnement.

Les compétences transversales sont à la croisée des chemins entre ces notions : en analysant son parcours de vie, ses motivations et ses besoins profonds, la personne se situe plus clairement dans le présent, au regard de son passé et en vue du futur souhaité. Elle conscientise les compétences accumulées dans plusieurs situations et contextes, ce qui lui permet d’ouvrir les perspectives sur d’autres domaines que le sien auxquels elle pourrait accéder, de valoriser ses compétences transversales en s’appuyant sur ses expériences concrètes, et enfin, de gagner en confiance, en connaissance de soi et en lucidité sur son parcours.

Tout au long de la démarche, la personne est encouragée à tester le réalisme de son projet et à en préciser les conditions concrètes de succès. En fonction du projet professionnel que la personne souhaite poursuivre, le bilan permet ainsi d’identifier les lacunes de compétences et d’accompagner la mise en place d’un plan d’action pour les acquérir ou les renforcer, ce qui favorise la perméabilité des parcours, la satisfaction et finalement, l’employabilité.

Ce qu’il faut retenir

La notion de compétence et plus particulièrement celle de compétence transversale et transférable est un élément clé aussi bien pour appuyer le succès d’une entreprise et la satisfaction professionnelle que pour l’ouverture des parcours de carrière, qui suivent de moins en moins une logique linéaire. Les psychologues du travail et des organisations se trouvent à l’interface entre les besoins et entreprises et le fonctionnement des individus, et sont ainsi particulièrement bien placés pour accompagner une réflexion à ce sujet.

Références:
• DAVID J. DEMING, 24 mai 2017: “The growing importance of social skills in the labor market”. The Quarterly Journal of Economics, Volume 132, Issue 4, November 2017, Pages 1593–1640.
• LE BOTERF, G., 1995: «De la compétence, essai sur un attracteur étrange », Paris, Éditions d'organisations.
• LE BOTERF, G., 1997: «Compétence et navigation professionnelle », Paris, Éditions d'organisations. 
• LE BOTERF, G., (juin 2018): «Construire les compétences collectives. Coopérer efficacement dans les entreprises, les organisations et les réseaux professionnels », Eyrolles, Ressources humaines. 
• LE BOTERF, G., (avril 2018): « Développer et mettre en œuvre la compétence. Comment investir dans le professionnalisme et les compétences ». Eyrolles, Ressources humaines.
• DIOMANDE, C. (1998): «Evaluer les compétences, quels jugements? quels critères? quelles instances?». Éducation permanente.
• ABOUBADRA-PAULY, S. & AFRIAT, C. (janvier 2019): «Les compétences transversales: quels usages sur le marché du travail?». France Stratégie.

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Marielisa Jaeger-Autieri

Marielisa Jaeger est psychologue du travail et des organisations, Secrétaire générale de Psy4work et membre du Comité HR Genève. Après une expérience dans les Ressources Humaines auprès d'une marque horlogère, elle se dirige vers l'accompagnement. Elle est aujourd'hui consultante auprès d'un cabinet spécialisé dans l'évaluation et le développement de compétences, où elle intervient comme spécialiste notamment dans le cadre d'assessments, de bilans de compétences et d'outplacement.

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