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Quelle place pour la nature en entreprise?

La nature présente de nombreux avantages pour les organisations et leurs employés. Quitte à lui donner un peu plus de place ou de pouvoir?

Les effets positifs du contact avec la nature sur la santé sont indéniables. Elle impacte aussi le bien-être des employés et leur performance, explique Jean-Marc Hardy, auteur de «L’entreprise à ciel ouvert» (Éditions Gereso) et fondateur de l’agence Yellow Dolphins. «Le contact régulier avec la nature renforce le système immunitaire, réduit le stress, et contribue à diminuer l’absentéisme.» Et de souligner qu’au-delà de ces bénéfices immédiats, la nature stimule également les performances cognitives. «Diverses études montrent que des immersions courtes, comme des promenades de quarante minutes, ou des excursions prolongées sur plusieurs jours, améliorent la concentration, augmentent l’énergie, et facilitent la résolution de problèmes complexes.»

La créativité est un autre domaine où la nature se révèle précieuse, selon l’expert. Il mentionne diverses recherches récentes qui relèvent que les personnes exposées à un environnement naturel se montrent plus créatives et innovantes. «Lorsque l’on veut être créatif, on a tendance à se retrouver pour un brainstorming dans une salle de réunion aux fenêtres fermées, un environnement peu stimulant au possible, ce qui constitue une aberration. Il faut au contraire sortir de ce bocal. Un certain nombre d’entreprises l’ont déjà compris, mais je pense qu’il reste beaucoup à faire en la matière.»

Relations plus sereines

Les réunions en pleine nature constituent une autre approche prônée par le spécialiste. «Ces séances se déroulent en marchant, dans un environnement naturel, et permettent aux participants de réfléchir plus librement, de sortir des schémas habituels et de renouer avec une forme de pensée plus intuitive.» Aussi, la nature favorise des interactions sociales plus saines et enrichissantes. Lors des voyages en pleine nature qu’il organise pour des entreprises, Jean-Marc Hardy observe que les relations entre collègues se transforment positivement. «Des conversations qui auraient été tendues dans une salle de réunion se déroulent plus sereinement en plein air, où les participants se montrent plus ouverts et empathiques.»

Pour les entreprises qui souhaitent engager cette voie, Jean-Marc Hardy recommande de commencer par des petits pas. «On peut commencer par quelque chose de très simple, comme l’ajout de plantes vertes au sein des espaces de travail.» L’auteur cite l’exemple d’une administration publique qui a lancé un projet de végétalisation des bureaux. Cette initiative a eu des effets positifs inattendus: elle a favorisé des rencontres entre des employés de différents départements qui, sans cet environnement vert, n’auraient peut-être jamais échangé. Ces plantes sont même devenues des «personnages» au sein des équipes, renforçant encore la cohésion et la créativité. «Il s’agit aussi d’identifier des «ambassadeurs» pour porter le projet au sein de l’entreprise. Enfin, il est nécessaire d’adapter les démarches selon la taille et le secteur de l’entreprise, en prenant en compte les spécificités de chaque contexte.»

Nature rémunérée

Avec son ouvrage «La Nature au travail» (Éditions Quanto), Frantz Gault, sociologue des organisations et cofondateur du cabinet Ultralaborans, spécialisé dans la transformation des entreprises, propose une vision encore plus audacieuse de l’intégration de la nature en organisation. «Aujourd’hui, les concepts de responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont encore largement perçus sous un prisme purement technique, comptable ou réglementaire, où la nature reste asservie aux besoins humains. J’estime qu’il faut aujourd’hui redéfinir la durabilité en tenant compte des intérêts de la nature elle-même.» Au cœur de son récent ouvrage se trouve le concept de «natura laborata», soit «la nature mise au travail». «On doit arrêter de considérer la nature uniquement comme une ressource à exploiter et plutôt la traiter comme un véritable partenaire dans la chaîne de valeur économique.»

L’auteur formule trois scénarios pour intégrer davantage la nature dans le fonctionnement quotidien des entreprises. Le premier consiste à considérer certains éléments de la nature, par exemple les animaux utilisés dans des processus de production, comme des employés à part entière. Dès lors, ceux-ci méritent d’être représentés par des voies syndicales. Le second scénario positionne la nature comme partie prenante au sein des comités de direction. «Ce modèle, déjà observé dans certaines entreprises en Belgique et au Royaume-Uni, vise à ce que la nature soit représentée au plus haut niveau de la gouvernance, à l’instar d’autres parties prenantes comme les employés ou les actionnaires.» Une approche qui permet notamment d’inclure la nature dans les décisions stratégiques, en considérant par exemple des éléments comme la biodiversité, la pureté de l’air et la gestion des ressources naturelles.

Enfin, la troisième perspective suggère que la nature pourrait être rémunérée pour les services qu’elle rend, non seulement en termes économiques directs mais aussi par l’attribution de parts sociales ou de droits de vote au sein des conseils d’administration des entreprises. Dans ce modèle, la nature deviendrait actionnaire, avec un pouvoir de décision réel dans la direction des entreprises.

Un siège au conseil d’administration

Ces idées trouvent un écho positif, mais des barrières significatives subsistent. «Il existe deux obstacles majeurs: d’une part, la structure même de l’entreprise.» Ainsi, les actionnaires, dont les intérêts sont souvent à court terme, peuvent être réticents à adopter des pratiques qui prennent en compte la temporalité plus longue de la nature.

D’autre part, les entreprises doivent repenser leur identité, en se considérant également comme des institutions socio-politiques. Cela implique de se poser des questions sur la légitimité de leur gouvernance et sur les parties prenantes qui devraient y avoir une voix. «Par exemple, on peut réserver un siège au sein du conseil de direction pour représenter la nature, une démarche similaire à celle de certaines entreprises dans les années 1980, qui avaient gardé un siège vide pour représenter l’expérience client.» Ce geste, bien que symbolique, peut initier un changement de culture au sein des organisations, estime- t-il. «À terme, la réinvention du statut de la nature va devenir inévitable. Elle est déjà en train de devenir un sujet juridique dans certains pays, et les entreprises vont inévitablement devoir ajuster leur relation avec elle.»

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Erik Freudenreich est le rédacteur responsable de la version française du site HR Today.

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