Organisation du travail

Transformer l’accueil en EMS par une organisation agile

Un projet pilote d’accompagnement de personnes âgées en EMS s’inspire des nouvelles méthodes de gouvernance agile. L’objectif est d’offrir un lieu de vie qui donne aux habitants comme aux collaborateurs la liberté d’être pleinement eux-mêmes.

Entreprise libérée, holacratie, organisation agile, les nouveaux modèles d’organisation font parler d’eux. Certains y voient un nouvel eldorado pour les entreprises, d’autres les considèrent comme une mode pas très sérieuse, dont la promotion n’est pas dénuée d’intentions marketing. Une partie des dirigeants qui pourraient être séduits par la dimension humaniste de ces modèles se demandent si le jeu en vaut la chandelle: alors qu’ils sont garants de la pérennité de leur business, pourquoi se lancer dans une aventure hasardeuse? Et pourtant, si leur stratégie est centrée sur les clients, ils ont tout intérêt à s’appuyer sur l’autonomie des professionnels de terrain.

Le développement de l’approche centrée sur la personne dans les EMS illustre magistralement cette interdépendance entre stratégie innovante et nouveaux modèles d’organisation. Née aux USA sous le nom de «culture change» il y a une vingtaine d’années, cette approche, qui se diffuse désormais en Europe, ambitionne que les résidents des EMS s’y sentent autant que possible, «comme à la maison». Le concept, peu développé pour l’instant en Suisse romande, met la qualité de vie au même plan que la santé et la sécurité, ce qui suppose une révolution de l’organisation du travail.

L’exemple de l’EMS Montchoisi à Orbe

Dans le canton de Vaud, la fondation Saphir a relevé le défi: elle a ouvert, le 2 mars 2021, un établissement pilote, l’EMS Montchoisi, qui accueille 84 résidents à Orbe dans 4 unités de gériatrie, 2 unités de psychiatrie de l’âge avancé (patients atteints de démences) et une unité de courts séjours. L’organisation s’appuie sur des équipes autonomes et polyvalentes afin de permettre un accompagnement flexible des résidents, dénommés habitants pour marquer qu’ils sont chez eux dans cet établissement (lire aussi ci-dessous). L’ouverture est récente, mais déjà des signes positifs ont été observés. Certains habitants ont «oublié» leurs somnifères et cependant bien dormi, d’autres ont déjà vu diminuer la quantité de médicaments neuroleptiques que nécessitait leur condition, certains se sentent plus autonomes et recommencent à faire eux-mêmes certains gestes du quotidien, d’autres retrouvent des petits plaisirs: jouer aux cartes le soir, chanter, participer à la cuisine… ou simplement le goût d’appartenir à une communauté. Les équipes sont à ce jour fortement engagées dans la gestion du changement.

Évaluation pendant deux ans

Celui-ci est cependant complexe et suppose un bouleversement des habitudes. C’est pourquoi l’expérience est soumise à une évaluation scientifique, réalisée par une équipe de la HEIG-VD et l’équipe en charge de la fondation Saphir, assistée par un comité scientifique d’experts du vieillissement et de la gestion des établissements de santé. Cette évaluation, prévue sur deux ans, est soutenue financièrement par la fondation Leenaards et la Fondation Roger De Spoelberch. Elle analysera la mise en œuvre des nouvelles pratiques et l’impact des nouvelles manières de travailler sur la qualité de vie, le bien-être et le bonheur subjectif des habitants et sur la satisfaction des familles et des collaborateurs. Ses résultats permettront des ajustements et, s’ils sont positifs, soutiendront, à terme, une diffusion de l’expérience au sein d’autres établissements de la fondation ou d’autres EMS qui voudraient se lancer dans l’aventure.

Une organisation agile, centrée sur des équipes autonomes

Afin de s’adapter aux demandes et besoins des habitants, l’organisation du travail est réalisée dans de petites équipes autonomes (les communautés) composées des différents corps de métier (aide au ménage, aide infirmière, animation, assistants en soins et santé communautaire) qui ont la responsabilité d’un groupe de 14 habitants.

Ces communautés sont soutenues par des coaches et des spécialistes (infirmiers et professions de niveau ES, HES, médecins) qui ont un rôle transversal. Étant autonomes pour organiser leur travail (gestion des plannings, des congés, des remplacements, des activités…), elles se coordonnent régulièrement. Elles planifient ainsi les horaires de travail en fonction des habitudes et des besoins spécifiques des habitants de chacune des six communautés.

Les membres d’une communauté cumulent leur rôle métier avec un ou plusieurs rôles transversaux comme par exemple les rôles de responsable de la planification, des prestataires externes, de la qualité de la prestation ou encore de la logistique. Cette organisation du travail décentralisée garantit une proximité avec les habitants et une connaissance de leurs besoins pour respecter leur mode de vie et favoriser leur autonomie.

Une gestion de changement ambitieuse

L’approche centrée sur la personne suppose un changement de paradigme qui touche plusieurs niveaux: bouleversement profond des habitudes des collaborateurs, des modèles d’organisation, des modèles architecturaux, des conditions de prise en charge… Les analyses de la mise en œuvre de ces modèles qui ont été réalisées aux USA, ont montré que la gestion du changement pouvait faire la différence.

Le plus souvent, les collaborateurs des EMS ont l’aspiration profonde de prendre soin de leurs aînés et de contribuer à ce qu’ils mènent une vie de qualité. Ils sont donc enthousiastes à l’idée d’un tel changement. Mais il y a aussi de fortes résistances. Dans une telle approche, les conditions de travail sont modifiées, avec notamment des horaires élargis et plus flexibles. La place traditionnelle de l’expertise professionnelle est questionnée. Les habitudes de travail ancrées sont bousculées. Les représentations sur la liberté de choix des adultes âgés et leurs priorités entre santé, sécurité et liberté sont revisitées.

Ce changement, simple en apparence, est en réalité une révolution. Il a nécessité une gestion ambitieuse du changement, avec l’aide d’une équipe de la HEIGVD. Cette gestion du changement s’est voulue agile, expérientielle et participative. Avant l’ouverture de l’établissement, les dispositifs expérientiels ont consisté en des ateliers de coconstruction du design organisationnel futur, afin d’associer les collaborateurs et les habitants à la conception de l’organisation cible et de prendre en compte leurs attentes dans la mesure du possible. Elle s’est caractérisée par un engagement très important de l’équipe de direction.

Deux mois après l’ouverture de l’établissement, si le bilan est positif, de nombreux éléments restent à ajuster, la démarche n’est pas exempte de questionnements et de doutes. La route est encore longue pour arriver au plein succès de l’aventure! Cela nécessite de dégager du temps…

Le modèle AEDIS: une nouvelle façon de travailler

Pour fixer les nouvelles façons de travailler, la fondation Saphir a développé un modèle, qu’elle appelle Aedis, qui signifie maison en latin. Ce nom met l’accent sur la volonté d’offrir aux habitants une vie normale, plutôt qu’un cadre de vie hospitalier. L’objectif est d’offrir un lieu «de vie» qui donne aux habitants comme aux collaborateurs la liberté d’être pleinement eux-mêmes.

Pour cela, par exemple, les professionnels portent des tenues «civiles» en lieu et place de l’uniforme de rigueur. Les habitants sont consultés sur les choix architecturaux et de décoration. Ceux qui le souhaitent peuvent participer à la cuisine, au ménage, au soin du linge. Leur intimité est respectée (sonnettes aux portes, boîtes aux lettres nominatives). Leurs souhaits sont questionnés pour toutes les activités quotidiennes. Leur famille est associée autant que possible. Les collaborateurs partagent au maximum les temps de vie avec les habitants, par exemple au moment des repas, mais plus largement en se rendant disponibles pour tout besoin, quel que soit leur métier ou leur spécialisation.

Le modèle s’appuie sur quelques principes fondamentaux concernant la place de l’habitant: ne rien faire sans l’associer le plus étroitement possible, ne pas l’assimiler à ses pathologies, être attentif à son évolution, connaître ses préférences et son histoire pour personnaliser son accompagnement, s’adapter en permanence à ses rythmes plutôt que de proposer une organisation standardisée de la journée…

 

Cet article est paru dans HR Today Magazine (no 3/2021).

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Céline Desmarais est Professeure et co-Directrice du MAS Développement Humain dans les Organisations, HEIG-VD.
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Diplômée d’un Master en Standardisation, politiques sociales et développement dura­ble de l’Université de Genève, Manon Pétermann a dévelop­pé en parallèle de ses études des compéten­ces de facilitatrice de processus en intelli­gence collective.
Contact: manon.petermann@gmail.com

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