Défis spéciaux pour cerveaux de haut niveau
Créée en 2003, la start-up Innovative Silicon emploie aujourd’hui 36 collaborateurs. La mémoire électronique qu’elle a inventée est encensée par les spécialistes du domaine des semi-conducteurs. Elle n’a pas fini de décoller. Analyse de ses défis RH.
Fin 2003, Innovative Silicon employait deux personnes. Aujourd’hui, la plus que prometteuse start-up du Parc scientifique d’Ecublens compte 36 collaborateurs. A l’horizon 2010, ils devraient être une petite centaine. La croissance rapide du personnel s’accompagne en outre, chez Innovative Silicon, d’un multiculturalisme qui fait se côtoyer 16 nationalités.
La start-up a été créée en 2003 par deux scientifiques Pierre Fazan et Serguei Okhonin. Ils se sont rencontrés à l’EPFL et ont eu l’idée de créer de la mémoire plus performante et plus petite basée sur des recherches dans le domaine des semi-conducteurs. «Notre technologie nous permet de faire de la mémoire embarquée 5 fois plus petite», explique Pierre Fazan. La mémoire en question porte le nom de Z–RAM.
La start-up a d’abord pris deux ans pour monter son projet autour de ce que les spécialistes jugent comme un véritable exploit technologique. A preuve, Innovative Silicon a reçu au début de l’année le prix de la technologie la plus innovante du domaine des semi-conducteurs par le prestigieux «IEEE Spectrum Magazine», la Bible des spécialistes de semi-conducteurs.
La start-up a choisi «un modèle de business IP, explique Pierre Fazan. On vend des licences de propriété intellectuelle.» La société a réussi à trouver 22 millions de capital risque, dont les premiers six millions en novembre 2003, date à laquelle la société a véritablement démarré ses activités. Début 2006, Innovative Silicon annonçait la signature d’un contrat avec son premier client, AMD, le 2e fabriquant mondial de processeur. Les clients potentiels de la start-up se trouvent également dans le marché des jeux vidéo, de la télévision ou du téléphone portable.
«Au début de son existence, dans le domaine des ressources humaines, explique Pierre Fazan, le principal problème était qu’on ne savait pas quand on allait véritablement commencer notre activité.» Depuis, les préoccupations ont changé. «Une fois que nous avons obtenu les premiers investissements, nous avons bien dû nous demander comment construire.» D’autant qu’Innovative Silicon rivalise avec d’immenses sociétés (plusieurs dizaines de milliers d’employés) qui développent des produits concurrentiels avec des moyens d’une toute autre envergure que les siens. Comment alors construire pour se faire une place dans le monde des géants du domaine des semi-conducteurs?
Depuis janvier 2006, la start-up a engagé une responsable RH en la personne de Béatrice Martin-Flatin. Cette dernière est responsable RH pour les trois sites localisés en Suisse, Etats-Unis (Silicon Valley) et au Japon. Elle résume le type de personnalités des employés de Innovative Silicon: «Dans cette entreprise de haute technologie, nous travaillons avec des personnes de haut vol, toujours les meilleurs d’un domaine.» Le résultat pour l’entreprise, ce sont 16 nationalités représentées dans le personnel et… des caractères très affirmés, admettent en chœur Béatrice Martin-Flatin et Pierre Fazan.
Le recrutement de ces professionnels hyper spécialisés est déjà une aventure. Les candidatures arrivent du monde entier. Il faut donc commencer par des contacts téléphoniques, passer ensuite à la vidéoconférence avant d’imaginer une rencontre. Celle-ci s’avère pourtant néces-saire finalement afin d’assurer que les équipes soient bien constituées et soudées.
Corollaire, l’entreprise a rapidement dû investir en moyens de communication de haut niveau et ses frais de déplacements sont importants. Ceci d’autant que les 36 collaborateurs (actifs dans la technologie, le marketing et la vente) se répartissent entre Ecublens, Tokyo et Santa Clara en Californie. En effet, Innovative Silicon a décidé de garder son centre stratégique en Suisse. Elle a néanmoins ouvert des bureaux en Asie et aux Etats-Unis pour être proche de son marché.
Une fois les collaborateurs engagés en Suisse, Béatrice Martin-Flatin se donne comme priorité de permettre leur installation adéquate, ainsi que celle de leur famille, dans leur nouvel environnement. Elle explique en souriant: «Il faut parfois les forcer un peu à se préoccuper de cela tant ils sont rapidement plongés dans les défis de l’entreprise.» L’aide à la relocation est vue comme un plus offert d’une part pour compenser les services habituellement pris en charge par des sociétés extérieures qu’une start-up ne peut financer, d’autre part afin de libérer au plus vite les nouveaux employés de ces soucis et leur permettre de se concentrer sur leur travail. L’équipe managériale et les RH en particulier doivent aussi gérer les différences de culture, les problèmes de langue et donc de compréhension.
La moyenne d’âge des collaborateurs est de 45 ans environ, une moyenne atypique pour le domaine des start-up, mais qui est perçue comme un signe de sérieux, en particulier par la clientèle asiatique. Ces gens «hyper expérimentés et passionnés» ne peuvent évidemment pas être engagés à n’importe quelle condition. Le budget des salaires de la compagnie est important, et le système de stock options est bien sûr de mise chez Innovative Silicon: tous les collaborateurs sont financièrement intéressés à la réussite de l’entreprise. Le salaire ne suffit en outre pas, remarque Béatrice Martin-Flatin. «Nous ne pouvons pas nous aligner sur les conditions des très grandes entreprises pour des gens de ce niveau. Nous devons donc faire preuve d’une qualité d’accueil et miser sur un climat d’entreprise très particulier.»
Parce qu’en Europe et en Suisse il y a entre un et trois mois de dédite lorsqu’une personne démissionne, (contrairement aux US où un employé est libre en une heure, une voire deux semaines maximum), Innovative Silicon souffre parfois d’être restée en Suisse, par opposition à ses concurrents installés en Asie et aux Etats-Unis. Les réglementations suisses à l’encontre des étrangers sont aussi contraignantes qu’aux US, mais la différence est que là-bas la masse critique du nombre d’Américains à la recherche d’un emploi permet d’engager rapidement de nouvelles équipes alors qu’en Suisse il faut avoir recours au recrutement d’étrangers. Là où les Etats-Unis parviennent à le faire en deux semaines, en Suisse l’unité d’attente est plutôt deux à trois mois, et cela malgré l’excellente compréhension des autorités dans l’attribution des permis de travail. «Mais parallèlement, atténue Béatrice Martin-Flatin, nous avons moins de peine à retenir nos collaborateurs que chez nos concurrents de la Silicon Valley.»
Le travail sur leur motivation et leur détente est aussi une tâche essentielle de Béatrice Martin-Flatin: «Dans le domaine des start-up, il y a des hauts et des bas. Parfois, après l’échec, nous n’avons pas, en Suisse, la même mentalité de battants que les Américains.» Pour conserver le «fighting spirit» des troupes, la société organise de nombreux événements chargés de renforcer les liens et de détendre des cerveaux qui ne tournent jamais à la petite semaine.
Les interviewés
Béatrice Martin-Flatin travaille depuis janvier 2006 chez Innovative Silicon.
Les interviewés
Pierre C. Fazan est l'un des co-fondateurs de Innovative Silicon. Il a inventé ou co-inventé 150 patentes US.