Recruter, le premier défi RH posé aux créateurs d’entreprise
La première préoccupation RH des créateurs d’entreprise est le recrutement. Car disposer d’une équipe performante est la condition sine qua non pour survivre les premières années. La rémunération et l’administration suivent. Et c’est uniquement quand s’engage la croissance qu’une structure RH devient indispensable. Enquête.
Les observateurs sont unanimes. Le recrutement est le premier défi posé aux créateurs d’entreprise. A cela plusieurs raisons. Par définition, une société en démarrage dispose de peu de moyens. Les erreurs de casting peuvent donc être fatales, en termes de coûts mais aussi en termes d’ambiance de travail. Car quand le personnel est limité à une dizaine de personnes, qui la plupart du temps travaillent tous dans le même bureau, une erreur de recrutement peut rapidement plomber le moral de l’équipe. «Trouver, sélectionner, accueillir et accessoirement se séparer d’un collaborateur sont des compétences clés qui manquent souvent aux créateurs d’entreprise. Pour un patron qui donne tout pour sa société, les contraintes juridiques liées à l’engagement ou au licenciement de personnel sont souvent mal vécues. Ils ne comprennent pas pourquoi la loi leur impose des conditions alors qu’ils ont le sentiment de conduire leur entreprise comme des vrais pères de famille», analyse Marc-André Vilette, DRH à temps partagé de plusieurs PME en France voisine et actuellement en train de préparer un Dossier HRM sur les ressources humaines en PME (à paraître fin mai).
Et si le recrutement s’avère être une question existentielle pour les entreprises émergentes, c’est qu’il permet de mettre en place une équipe performante. «La création d’une bonne équipe est difficile. Trouver la bonne personne relève souvent de la croix et de la bannière. Car les responsabilités sont énormes et les compétences requises souvent très pointues», observe de son côté Peter Stöckling, responsable de la communication de Venturelab, l’agence nationale pour la promotion des créations d’entreprise, et journaliste spécialisé pour la version allemande d’HR Today. Et sur ce point, les différents spécialistes contactés s’accordent également: seule une équipe performante permettra à une start-up de rester concentrée sur sa stratégie «business» et de résister aux coups de vents des premières années.
La question de la rémunération, intimement liée à la motivation du personnel, arrive en seconde position. Il n’y a pas de modèles prêts à l’emploi. Tout dépend des moyens à disposition, du secteur d’activité et des autres formes de compensation que l’employeur est en mesure d’offrir à ses collaborateurs. «Comment se positionner sur le marché quand on ne dispose que d’un budget limité? Comment motiver une équipe sans passer par le portemonnaie? Toute la question est là. Le fait d’être pionniers dans un domaine et d’être tous en train de ramer dans le même bateau peuvent compenser ce manque de moyens. La relation entre le directeur et les collaborateurs est souvent privilégiée dans une start-up», relève Marc-André Vilette. En termes de conditions de travail, mettre à disposition du personnel une cafétéria, un coin détente et un centre de fitness est rarement possible. Il faut donc compenser ces bonus par d’autres moyens. Sur ce point, Yann Guyonvarc’h, le créateur de la start-up Visio-Wave (voir ci-contre), rappelle qu’il est très important de savoir redonner aux collaborateurs les fruits de leur travail, une fois le succès au rendez-vous. Les systèmes de bonus et de stockoptions sont souvent cités. Andrea Pfeifer, créatrice de la start-up AC Immune, qui développe un traitement contre la maladie d’Alzheimer (voir en page 19), l’a bien compris. Quand sa société a signé un partenariat stratégique avec Genentech en décembre 2006 – un contrat à 330 millions de dollars! – tous les collaborateurs ont reçu un bonus substantiel pour les fêtes de fin d’année…
A l’origine de la fonction ressources humaines, les tracasseries administratives sont un autre défi de taille pour une société émergente.
L’option de la sous-traitance est souvent citée. Elle offre l’avantage de ne pas disperser les forces vives et de rester concentré sur la stratégie. Jacques Blanc, directeur adjoint de la fiduciaire BDO Visura à Lausanne spécialisée dans le con-seil aux start-up (voir en page 20), insiste sur ce point: les salaires, la fiscalité, la TVA et le reporting sont des domaines très techniques qui demandent des compétences spécialisées. Et les erreurs peuvent coûter cher». Mais la question divise. Car le coût de cette sous-traitance n’est pas négligeable. Marc-André Vilette, qui a lui-même créé plusieurs sociétés, confie: «Je suis assez sceptique par rapport à ces discours. Car je peux vous assurer que le prix de ces services ne compense pas toujours le temps économisé en interne». En définitive, la solution dépendra des possibilités financières et des compétences à disposition.
Recrutement, rémunération, administration Tous ces défis concernent avant tout une société de petite taille. Car le problème de l’instauration d’une véritable politique RH se pose au moment de la croissance. «Si vous montez une affaire de livraison de pizzas, sans véritables projets de croissance, les problèmes de gestion RH ne se posent pas. Même si l’affaire réussit, la société ne va pas créer beaucoup d’emplois sur le long terme. En revanche, quand la stratégie de croissance se met en place, il est indispensable de la coupler avec une stratégie RH. Sinon, c’est le naufrage assuré», estime Peter Stöckling. Le moment est donc venu de parler de la taille critique. Là encore, plusieurs modèles sont possibles.
L’exemple de la France est édifiant: «Il y a vingt ans, on articulait le chiffre de 200 collaborateurs pour un responsable RH à temps plein. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 100 collaborateurs. Mais c’est une moyenne et tout va dépendre du secteur d’activité. Pour les structures plus petites, le modèle qui s’impose actuellement est celui du poste RH à temps partagé. Mais les dirigeants hésitent souvent à engager des responsables RH à temps partiel. Pour des raisons de confidentialité et de disponibilité. Ces a priori sont une autre bonne raison de structurer les ressources humaines. L’investissement engagé apporte un meilleur rendement», dit Marc-André Vilette. A noter que chez la start-up lausannoise de service informatique Camptocamp (voir en p. 18), le problème s’est posé dès 12 collaborateurs.
Car dans la pratique, ce tournant devient une réalité quand les fondateurs perdent la vision d’ensemble des activités de leur société. Ce qui implique la mise en place d’une véritable structure de gestion de projets. «Dans une petite structure, cette question ne se pose pas. Mais arrive un moment clé, quand les membres fondateurs sont moins nombreux que les nouveaux collaborateurs. C’est là qu’apparaissent les difficultés. Un créateur d’entreprise aura tendance à exiger de ses nouveaux collaborateurs le même engagement qu’il a lui-même investi au début. Ce qui explique l’importance d’avoir quelqu’un de neutre pour organiser la structure de l’entreprise et pour bien clarifier les rôles et responsabilités de chacun. Il s’agit là d’un vrai problème RH», poursuit Peter Stöckling. Sur ce point, l’histoire de Switcher est un bel exemple. Robin Cornelius, le CEO de cette start-up devenue une société reconnue sur le marché international, a réussi à sauvegarder l’esprit fondateur de ses débuts tout en instaurant une vraie organisation RH.