La banque qui plie devant ses jeunes talents au franc-parler
BNP Paribas, la plus importante banque étrangère installée en Suisse, courtise les jeunes diplômés HEC comme jamais. Stratégie: tout le processus d’intégration, de l’offre d’emploi jusqu’au sixième mois d’activité du candidat, a été revu. La transparence et des valeurs ancrées dans la réalité sont devenues déterminantes.
Deux billets pour un match à Roland-Garros au lieu d’une prime de 500 francs. L’anecdote illustre bien le jeu de séduction que déploie la banque BNP Paribas devant les étoiles montantes des hautes écoles. «Aujourd’hui, les jeunes talents sont non seulement bardés de diplômes mais aussi d’exigences. Ils veulent connaître les valeurs, les possibilités de mobilité interne et l’offre en formation de la société. Sans parler du petit plus que nous sommes en mesure de leur glisser, genre un billet pour un match de tennis», constate Frédéric Kohler, responsable de la formation chez BNP Paribas en Suisse. Nouvelle génération, nouvelles aspirations... Car cette atti-tude, il y a dix ans, aurait été déplacée venant d’un candidat sans expérience, même doué. Mais les jeunes talents sont une denrée rare. A tel point que les grandes banques commencent à courber l’échine devant cette relève au franc-parler et aux modèles de carrière professionnelle éclatés. Conséquence: chez BNP Paribas, qui a recruté 80 novices en 2006, le processus d’intégration a été revu. «A l’époque, les jeunes stagiaires devaient se fondre dans le moule de la banque. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse. Nous essayons de répondre aux attentes différenciées de chaque candidat», note Frédéric Kohler. Avec une durée moyenne dans l’entreprise de sept ans et un taux de rotation relativement élevé (12%), le recrutement et la fidélisation des jeunes talents, qui représentent 20% de la population globale, est devenu une préoccupation constante. Analyse d’une stratégie d’avenir.
Offre sur mesure. «Pour recruter efficacement les talents qui sortent de l’université, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait sortir du discours unique et faire l’effort de messages sur-mesure», note Frédéric Kohler. De l’offre d’emploi, jusqu’au repas qui marque la fin des six premiers mois du stagiaire dans la banque, tout le processus est concerné. «Quand vous faites publier une annonce, inutile de parler de conditions financières. Ce qui intéresse les jeunes ce sont les valeurs de la banque, son offre en formation continue et les possibilités de mobilité interne», poursuit Frédéric Kohler.
Fidélisation et transparence. Changement de stratégie donc. Car ce qui se résumait par le passé à un processus d’intégration, devient un processus de fidélisation. Les objectifs ne sont plus de permettre au jeune d’être productif le plus rapidement possible. Aujourd’hui, il faut le fidéliser et lui dévoiler les atouts d’entrée. «Cela arrive de plus en plus souvent qu’un jeune nous confie qu’il ne compte rester chez nous que quelques années, qu’il a d’autres plans pour sa carrière ou qu’il souhaite démarrer en temps partiel. Cette attitude aurait été inimaginable il y a quelques années», note Frédéric Kohler.
La stratégie implique également plus de transparence dans les discours. Il ne suffit plus d’inscrire la responsabilité sociale dans la charte de l’entreprise. Le jeune attend des preuves concrètes de l’engagement de son futur employeur. Frédéric Kohler précise: «Il n’y plus de questions tabous. Car plus on occulte les informations, plus grandes sont les probabilités de démission.
Zapping. Les possibilités de changements de postes en interne ont également été élargies. Durant les années 1990, les stagiaires BNP Paribas devaient faire le tour d’un secteur avant de postuler pour un autre poste. La mobilité interne n’intervenait en général qu’après 30 mois. Ce n’est plus le cas. Et il n’est pas rare qu’un jeune attrape des fourmis dans les jambes après une douzaine de mois seulement: «Aujourd’hui, les jeunes sont avides de sécurité mais pratiquent une forme de zapping professionnel. Ça ne les intéresse pas de maîtriser une fonction, ils veulent découvrir. Et c’est normal pour eux de changer d’employeur tous les deux ou trois ans.»
Tribus. Le défi consiste donc à garder ces jeunes talents le plus longtemps possible. Chez BNP Paribas, les communautés sont l’une des stratégies mises en place pour fidéliser les jeunes. «Nous appelons ça des tribus. Elles permettent de structurer l’appartenance à la banque. Mais attention, ce ne sont pas des réunions business. Le management intervient très peu. Il donne une liste des nouveaux aux groupes déjà existants et reste en retrait», confie Frédéric Kohler. Ainsi, les jeunes se regroupent selon leurs intérêts personnels. Et trouvent une certaine fierté à appartenir à un groupe dont les activités restent méconnues de la direction. «Le phénomène des tribus nous aide à lutter contre les chasseurs de tête. Quand un jeune talent est courtisé, les autres membres du groupe vont le décourager à quitter l’équipe. En quelque sorte, ils font le travail à notre place», glisse Frédéric Kohler.
Fun attitude. Les nouvelles générations de diplômés se profilent comme des fans de spectacle. Les semaines d’intégration classique, genre la tournée de chaque département avec une heure de présentation par le responsable du service ne fonctionne plus. «Nous y avons par exemple intégré des jeux de rôles, des clips vidéos et du e-learning. Par rapport à la déontologie du milieu bancaire, un sujet terne s’il en est un, un showman vient leur raconter une histoire de blanchiment d’argent», illustre Frédéric Kohler. C’est ce qu’on appelle la «fun attitude». Le système du parrainage par un ancien de la banque a également été mis à la corbeille. «On confie cette tâche uniquement aux membres des comités exécutifs. Cette proximité entre la pointe de la pyramide et ces nouveaux rentrants renforce leur fierté d\'appartenance et crée une dynamique de coaching rapproché.
L'interviewé
Frédéric Kohler est responsable de la formation chez BNP Paribas Suisse depuis 2002.