Intégration des jeunes

Les jeunes face au marché du travail: ce qu’il faut savoir

Avec la pénurie de main-d’œuvre que connaît actuellement le marché du travail suisse, l’intégration des jeunes travailleurs en entreprise devient décisive. Pour les départements des ressources humaines, plusieurs pistes possibles. Inventaire des enjeux de demain.

Malgré la bonne conjoncture actuelle, la Suisse manque cruellement de main-d’œuvre. Selon une enquête de Manpower qui porte sur le premier trimestre 2007, 11% des employeurs interrogés cherchent à renforcer leurs effectifs. Si les secteurs horlogers, bancaires et industriels sont les plus touchés, cette pénurie de bras concerne l’ensemble du marché du travail en Suisse. Malgré cette réalité, la situation du marché des places d’apprentissage reste tendue, annonçait le Département fédéral de l’économie en décembre 2006. Du côté des jeunes talents, c’est carrément l’alerte rouge. Toutes les grandes sociétés multiplient les efforts pour attirer les jeunes talents dans leurs rangs. Du coup, elles n’hésitent plus à modifier leur attitude face aux jeunes et multiplient les primes à l’embauche pour encourager les autres collaborateurs à recruter dans leurs réseaux. Si la recherche du profil idéal paraît de plus en plus difficile, l’intégration dans l’entre-prise une fois recruté va gagner en importance. Histoire de s’assurer que le jeune réalise les retours sur investissements escomptés. Dans la pratique, l’intégration d’un jeune sur la place de travail concerne avant tout le département des ressources humaines. Inventaire de quelques enjeux incontournables.

Les valeurs ajoutées. L’intégration réussie des jeunes dans l’entreprise est une valeur ajoutée incontestable. «Les jeunes ont envie d’apprendre et de réussir», relève Markus Waeber, conseiller scientifique au département du marché du travail de la SECO. Même s’il ne faut pas exagérer l’impact de cette envie de succès, l’arrivée des jeunes générations sur la place de travail a plutôt tendance à stimuler les autres collaborateurs. Selon l’étude «Cocon», publiée en 2006 par l’Université de Zurich, les jeunes Suisses ont beaucoup d’empathie et se sentent responsables. Leur degré d’empathie augmente considérablement entre 6 et 15 ans, puis progresse très légèrement jus-qu’au début de l’âge adulte. Les filles arrivent mieux à partager leurs sentiments que les gar-çons, relèvent encore les chercheurs. Les garçons sont davantage marqués par l’image du «type cool» qui se doit de ne pas être un bosseur, note Marlis Buchmann, directrice de l’enquête. Côté capacité à prendre leurs responsabilités, l’étude révèle que la majorité des jeunes sont prêts à faire des efforts pour arriver à leurs fins à l’école tout comme dans le monde professionnel. Cette motivation repose premièrement sur la bonne qualité des programmes scolaires. Autre constat de cette recherche financée par le Fonds national, les compétences sociales des jeunes générations sont très développées, à cause de l’influence de l’environnement et des loisirs (musique, films, nouvelles technologies). 

Enfin, selon Frédéric Kohler, responsable du recrutement chez BNP Paribas à Genève, les jeunes «apportent plus de diversité dans les entreprises. Ils sont très pragmatiques et ils aiment le parler vrai et honnête» (voir aussi le sujet BNP Paribas en page 16). 

Respect au recrutement. Comment recruter un jeune travailleur? Si les techniques de recrutement classiques (CV, entretien d’embauche, assessment, questionnaire spécialisé) restent grosso modo les mêmes, le recrutement d’un jeune travailleur pose plusieurs problèmes. Le premier concerne la non-visibilité d’une grande partie de ses connaissances. «Quand vous avez affaire à un jeune diplômé des hautes écoles, il n’y a pas de problème. Ces compétences apparaissent généralement sur son CV. Le problème se pose différemment avec un jeune issu de l’apprentissage. Il s’agit de déceler les compétences personnelles du candidat, des compétences qui n’apparaissent pas forcément dans son dossier», note Markus Waeber. «Les jeunes diplômés universitaires se vendent mal», relève quant à lui Marc Worek  d’Uni-emploi, une antenne de l’université de Genève qui aide les jeunes diplômés à décrocher leur premier emploi. Uni-emploi conseille par exemple aux jeunes universitaires d’être proactif dans leur recherche d’emploi. Les entretiens d’informations, encore relativement peu pratiqués, sont un bon moyen pour le jeune de faire connaissance avec les entreprises. «De nombreuses sociétés voient d’un bon œil ces entretiens d’informations. Car cela leur permet d’expliquer aux candidats le détail de la profession. Et pour le jeune, c’est un moyen d’élargir son réseau», observe Marc Worek (voir aussi en page 18). 

Au moment de l’entretien d’embauche, Frédéric Kohler voit quelques règles incontournables: «Le respect au moment de l’entretien doit être total. Si un jeune est mal accueilli, les répercussions pour l’image de la société peuvent être considérables. Il ne faut jamais oublier que les jeunes candidats tentent leur chance dans toutes les grandes sociétés de la place. Et c’est pareil pour les offres d’emplois spontanées. Nous répondons aux 1300 lettres que nous recevons chaque année. C’est aussi une question de respect.» En cas d’un refus, Frédéric Kohler insiste sur le fait de ne pas confondre évaluation et jugement: «Nous donnons toujours les motifs du refus. Ne pas communiquer les raisons d’un refus est une erreur. Cela provoque un sentiment d’injustice, avec des conséquences sur l’image de la banque.»

La jungle des stages. De peur d’engager un jeune qui risque de se révéler peu productif, plusieurs sociétés recourent à des stages. Ces stages sont peu, voire pas rémunérés et permettent autant à l’employé qu’à l’employeur de se faire une meilleure idée de son futur partenaire. 

«Ces stages n’ont pas de bases légales claires. C’est la jungle», illustre Jean-Christophe Schwaab, secrétaire syndical Unia-Jeunesse. En principe, un stage dure trois mois, mais la durée dépend beaucoup du poste et de la branche d’activité. Un stage non rémunéré implique en général une indemnisation pour les frais du jeune, une indemnité qui tourne autour des 500 francs par mois. Des synergies sont possibles avec le système d’assurance-chômage. Les stages professionnels financés par l’assurance-chômage se renouvellent de six mois en six mois. Mais il faut sa-  voir que les Offices régionaux de placement sont souvent réticents à prolonger ces stages non rémunérés pour éviter les abus. «Un jeune qui accumule les stages en entreprise n’en tire aucun bénéfice à moyen terme. A moins que le stage prévoie de la formation ou qu’il débouche sur un contrat de travail fixe», note Jean-Christophe Schwaab. Selon lui, «mieux vaut engager un ap-prenti que deux stagiaires non rémunérés. C’est un peu provocateur, mais malgré l’investissement de départ, engager un apprenti est payant sur le long terme». A noter que les stages prévus dans certaines filières de formation (avocat, santé, travail social) sont bien réglementés.

Les semestres de motivation concernent avant tout les jeunes sans formation particulière et qui présentent des lacunes scolaires. Ce programme est financé par l’assurance-chômage et concerne environ 8500 jeunes par année. Normalement limité à six mois, il peut être prolongé selon entente avec le service public de l’emploi, le jeune et l’entreprise. Comme son nom l’indique, le semestre de motivation est également une période durant laquelle le jeune cherche à consolider ses connaissances scolaires, voire à combler ses lacunes, et surtout à prendre le temps de réfléchir à son avenir. Dans cette optique, de nombreuses entreprises décident de prendre des jeunes en semestre de motivation car cela permet de «tester» les candidats sur une période assez longue et surtout à coût réduit. Les Semo sont également un bon plus en terme de responsabilité sociale des entreprises. 

En ce qui concerne les diplômés universitaires, les stages sont très souvent couplés avec un travail de Master. L’étudiant profite ainsi de son travail de fin d’étude pour acquérir ses premières expériences professionnelles. Du côté de l’entreprise, le travail de diplôme effectué durant un stage peut jouer comme une sorte d’assessment. Le candidat est évalué durant une période allant de trois à six mois, qui peut ensuite déboucher sur un engagement. 

Education. Le système scolaire suisse joue-t-il toujours son rôle d’éducateur des jeunes générations? En Suisse, de nombreux patrons se plai-gnent des lacunes importantes des jeunes qui sortent de l’école. Code vestimentaire inadapté à la place du travail, incapacité à construire un dialogue correct et poli avec la clientèle ou difficulté à rédiger une lettre sans faire de fautes d’orthographe. «C’est l’éternel débat», note Bernhard Hähler qui travaille pour la société Multicheck (voir aussi en page 19). Cette société aide les élèves du degré secondaire du pays à établir des profils de candidature qui intéressent les entreprises. Mais comme les programmes scolaires dépendent des autorités cantonales, le droit d’ingérence des entreprises reste limité. «Pour les RH, il ne faut jamais oublier qu’un apprenti ou un nouveau collaborateur a besoin d’être formé. Cela représente un investissement rentable sur le long terme», note Jean-Christophe Schwaab. Concernant le rapport coûts-bénéfices des apprentis, voir le sujet «Avantages et désavantages des apprentis» dans HR Today numéro 6/2006.

Contrats de travail. En principe, les jeunes travailleurs bénéficient des mêmes conditions de travail que leurs aînés. Cette réglementation est inscrite dans la loi sur le travail (art. 9). Quelques exceptions utiles à connaître: pas de travail le soir ou la nuit et en principe la semaine de travail est fixée à 45 heures. La durée de la semaine de travail varie cependant selon les branches. Et les secteurs couverts par une convention collective de travail sont réglementés selon l’accord pari-taire en vigueur. Pareil pour les contrats d’apprentissage. Ceux-ci sont très bien réglementés et ne posent, en principe, aucune difficulté. A noter que le contrat d’apprentissage doit être annoncé à l’Office de la formation professionnelle du canton.

Les salaires doivent également suivre les recommandations des CCT. A titre de comparaison, un article publié en décembre 2006 dans le «Sonntagsblick» dressait un bilan plutôt sombre des revenus des jeunes travailleurs. Selon l’hebdomadaire alémanique, entre 1991 et 2003, le salaire moyen d’un jeune entre 20 et 24 ans a baissé de 42900 francs à 31300 francs. Sur la même période, les revenus des 25-29 ans sont passés de 53600 à 44700 francs.

A noter enfin qu’il existe également toute une réglementation concernant la protection de la santé des jeunes travailleurs. Pour le détail,voir HR Today n°5, 2006 rubrique Droit & travail.

Transfert du savoir. En principe, le transfert du savoir entre générations plus âgées et jeunes travailleurs devrait être formalisé. La plupart des sociétés interrogées pratiquent le système du parrainage. Le système consiste à allouer à chaque nouveau collaborateur une personne de référence dans l’entreprise. Le jeune dispose ainsi d’une personne de contact à qui s’adresser en cas de problème. La tendance actuelle est que le parrain, ou le «buddy» pour employer le terme anglo-saxon, doit être un collaborateur avec peu d’expérience dans la maison. Ainsi, il est mieux à même de s’imaginer ce qu’est en train de vivre son poulain. Certaines sociétés complètent le «buddy» avec une personne plus expérimentée. Ce dernier sera le mentor du nouveau collaborateur et la référence professionnelle en cas de difficultés techniques. En général, l’accompagnement du nouveau collaborateur par un ou deux parrains dure une année. 

Quant aux transferts des connaissances du métier, cela varie considérablement selon les branches. Dans le milieu informatique par exemple, l’évolution rapide des technologies implique que chaque collaborateur est en permanence en formation. Les connaissances fraîchement acquises du jeune nouveau ne seront, par conséquent, que d’une brève utilité. Dans d’autres professions (journalisme, droit et médecine notamment), l’expérience acquise a tendance à prendre de l’importance avec les années. Dans ces secteurs, la formalisation du transfert des connaissances est donc fortement conseillée.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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